La beauté de ma femme

Boris Cyrulnik met du piment scientifique à son explication du coup de foudre. Mais n'en saurons-nous pas trop sur notre mécanique intime?
Qui accrédite la thèse selon laquelle Didier Schuller rentre en France avec des grenades dans ses poches? C'est Alain Juppé quand il dénonce «la campagne ordurière menée par François Hollande qui remue la merde»! Un style qui ne lui va pas, entre parenthèses. Si bien que le citoyen, émoustillé, se demande de quelle «merde» encore inédite il s'agit. Au «Grand Jury», Alain Juppé, en transe chiraquienne, était odieux, mais touchant en un sens par cette fidélité si rare dans la jungle politique. On avait envie de lui souffler : «Calmez-vous, Chirac en a vu d'autres. Il a digéré la cassette Méry. Il a digéré le juge Halphen. Il a digéré les billets d'avion pour toute la famille payés sur fonds secrets. En un mot, Jacques Chirac a de l'estomac. La formule pourrait lui servir de slogan électoral. Le cas échéant, il digérera Schuller même si, quelquefois, il commence à se sentir lourd.» Mahomet a fait un petit tabac sur Arte. La dramaturgie ne vaut pas celle de l'Ancien ni du Nouveau Testament. Mais l'histoire de ce commerçant de La Mecque, expulsé de sa ville natale et y retournant pour la prendre par les armes quinze ans après, religion en mains, est belle. Entre-temps, il a eu une révélation, et pris pour unique épouse une riche veuve plus âgée que lui de quinze ans, qui l'a voulu pour mari. Il gère ses biens? C'est peut-être grâce à sa familiarité avec l'argent que celui-ci n'a pas, dans le Coran, la réputation sulfureuse que lui font les textes chrétiens. Mahomet est mort avant d'avoir pu faire son testament. Alors les fidèles se sont disputés comme des chiens sa succession, laissant son corps oublié dans un coin pendant trois jours. Après quoi, un quart de siècle d'âpres querelles a été nécessaire à la confection d'une vulgate commune, d'un Coran réputé parole d'Allah. C'est la version communément acceptée aujourd'hui. Porto Alegre : curieux mélange de Lourdes et du Festival de Cannes. D'un côté, on attend des miracles. Et comment n'en aurait-on pas envie devant le désordre du monde pour peu que l'on ne soit pas sclérosé par son propre confort? Cela ne doit pas conduire à répéter que l'Argentine est la dernière victime du FMI. Les richesses des Argentins investies à l'étranger sont telles qu'elles atteindraient à peu près le montant de la dette du pays. Ah, si l'on pouvait sortir des incantations! L'aspect Cannes de Porto Alegre est plus drôle. M'as-tu vu? Chacun fait son cinéma sans oublier de montrer son bon profil à toutes les caméras qui passent. La compétition est rude pour le premier rôle. Il y a quelque chose de délicieux dans cette série sur l'amour de France2, ce sont les hommes et les femmes qui l'illustrent, des inconnus qui ont formé à Perpignan une joyeuse fanfare d'amateurs, plutôt jeunes mais pas très jeunes, pas vilains mais pas très beaux. Ils ont tous sur leur visage une lumière, dans leur voix une tendresse pour dire comment ils ont vécu leur coup de foudre ou comment ils s'aiment depuis «ce jour-là». Un grand costaud auquel on demande «Qu'est-ce que la beauté pour vous?» hésite à peine et répond : «C'est la beauté de ma femme! C'est un Maillol, regardez-la ?» Et il la décrit. On était heureux de voir cela. Pas de considérations sur l'orgasme obtenu assis, couché ou debout, mais du piment scientifique façon Boris Cyrulnik. En gros : pourquoi est-on séduit par celui-ci et pas par celui-là? Quel est le processus technique du coup de foudre? Que signifie chez les femmes la dilatation des pupilles? Quel rapport y a-t-il entre les ?strogènes et l'arcade sourcilière? Dites-moi quel amour vous avez reçu enfant et je vous dirai ce qui est inscrit dans votre mémoire biologique et détermine votre comportement amoureux, etc. Boris Cyrulnik sait tout cela et bien d'autres choses qui sont aujourd'hui inventoriées. Que se passera-t-il quand on saura tout de notre mécanique intime? Quelle part restera-t-il au rêve, à l'illusion, au mensonge sans lesquels la vie serait intenable? Boris Cyrulnik est optimiste. Quelqu'un qui a appris à aimer aimera. La magie de l'amour, si présente ici dans certaines images, certaines paroles, n'est pas menacée. Dommage que la musique de la fanfare soit si bruyante. F. G.

Jeudi, février 7, 2002
Le Nouvel Observateur