La «tradition» du brasier

Pour l'année prochaine, on suggère aux chaînes de télévision de fournir aussi aux brûleurs de voitures l'essence et les allumettes?
Brûler des voitures le 31 décembre est une distraction stupide. C'est sans doute, aussi, un plaisir. Terroriser le bourgeois, consterner le maire, berner la police, faire parler de soi au moins collectivement. Mais il ne faut pas négliger le rôle non moins stupide de la télévision dans ces défoulements. Pendant quelques jours, les émissions d'information ont seriné que, en raison de «la tradition» ? la tradition! ?, les forces de l'ordre seraient sur les dents. Et on allait voir ce qu'on allait voir. Les jours suivants, on a vu. Des cadavres de voitures calcinées, images qui ont dû gonfler d'orgueil les jeunes auteurs de ces déprédations. Quel sens a cette publicité faite à la violence? L'année prochaine, on suggère que les chaînes leur fournissent aussi l'essence et les allumettes pour leur permettre de respecter plus largement «la tradition». Où sont les amuseurs d'antan? Les Coluche, les Le Luron, les Desproges? Ne nommons personne mais ceux que l'on nous sert aujourd'hui sont un triste composé de vulgarité et d'insipidité. Pourtant, on a envie de rire! Mais rire de ça, il y faut vraiment un heureux caractère! Et c'est encore pire quand des rires préenregistrés ponctuent l'émission ou que des spectateurs payés à cette fin pouffent et applaudissent sur commande la moindre insanité. Maugréante, je me suis réfugiée, le 1er janvier, chez les animaux, assurée qu'ils ne pouvaient pas être plus affligeants. Et de fait, les documentaires animaliers du National Geographic diffusés par Canal+, images superbes, bons commentaires, étaient enchanteurs. Ainsi pouvait-on voir l'histoire d'une famille d'ours blancs sur la banquise. Lui chasse, elle élève leurs oursons dans un trou de neige, à l'abri des dangers. L'ours blanc, qui n'a pas entendu parler des écologistes, attaque les phoques et dévore leur graisse. C'est la loi de la nature, le plus fort est roi. Même chose chez les crocodiles et les alligators de Floride. Presque frères, ils se respectent entre eux quand ils sont de taille égale mais, à peine sortis de la coquille qu'a couvée leur mère, tout petits encore, ils courent dans l'eau la plus proche et font claquer leurs mâchoires sur tout ce qui passe à leur portée. Comme ils ont eux-mêmes la chair encore tendre et la taille réduite, ils se font avaler par les gros poissons. La vie n'est pas un long fleuve tranquille, même pour un crocodile. Les enfants adorent les films animaliers. Ils ont beaucoup à y apprendre sur ce qui fait le fond de l'existence dans toutes les espèces, y compris la leur. Dans le genre historique, on pouvait se régaler en regardant sur la chaîne Histoire un film vieux de vingt ans sur la vie de Louis XI. L'idée ne m'en serait pas venue n'eût été le nom du réalisateur, Alexandre Astruc. Un ancien, connu des cinéphiles, mais qui n'a pas fait vraiment carrière. Pourquoi France 2 lui a-t-elle commandé, en 1978, un Louis XI, allez savoir. Peut-être la chaîne était-elle alors bien dirigée. Toujours est-il que les démêlés de Louis avec son père, avec les ducs de Bourgogne, avec toute la France, sa ruse, son ambition, son talent, l'un des plus grands de l'histoire, tout était habilement conté sur ce capétien de génie. Le génie politique, Charles Pasqua ne l'a pas. Il se goure régulièrement. Mais il a des idées. Pourquoi a-t-il recommandé de régulariser tous les sans-papiers? Pour ratisser parmi les électeurs de gauche anti-européens quand il présentera sa liste, en juin. Monsieur est un gros finaud. Quoi d'autre? Barbara Hendricks chantant George Gershwin, accompagnée par un trio de jazzmen. Il y a des fous de Gershwin et ceux qui lui dénient toute invention. Mais il y a peu de mélodies qui valent celles de «Porgy and Bess» ou «The man I love». Ce fils d'immigré russe a capté le romantisme américain. La voix de Barbara Hendricks n'est plus ce qu'elle a été mais elle sait s'en servir. M6 a inauguré une demi-heure de divertissement «Politiquement rock». Le principe : on prend des images de gens bien connus, on les monte de façon à en détourner le sens et on met dans leur bouche des textes inventés. C'est méchant mais cela peut être drôle. Pour le moment, ça ne l'est pas. F. G.

Jeudi, janvier 7, 1999
Le Nouvel Observateur