Le dur miracle de l'intelligence, bouleversant à observer dans l'oeil unique de Jean-Dominique Bauby
La pédophilie est à la mode, si l'on ose dire, ou plutôt sa reconnaissance après avoir été si longtemps occultée. Le reportage d'« Envoyé spécial » à Saint-Jean-du-Mont, institution dont le directeur, religieux mariste, a été arrêté, montrait combien la résistance aux faits est encore profonde. La femme professeur qui l'a dénoncé est quasiment mise à l'index ; les mères alertées par leurs enfants les ont retirés de l'école mais n'ont pas parlé : « Qui m'aurait crue ? Je n'ai pas osé » ; les gens du village n'ont pas aimé que l'on « salisse » la réputation du collège. Attouchements sexuels, violences, brutalité... « Quand j'ai entendu une fille raconter, dit le professeur coupable d'avoir parlé, j'ai été projetée dans le passé... C'était ma douleur... Ce côté écrasé qui subit. J'avais vécu le long chemin de sa souffrance... » Elle est aujourd'hui en sursis. Un hommage qu'il faut saluer : celui de « Qu'est-ce qu'elle dit Zazie ? » aux intellectuels algériens, ceux dont la vie est en danger. Ceux qui disent, comme Hamid Bousselham, l'éditeur : « Je n'ai pas de pays de rechange, je me sens profondément algérien. Si la mort est là, on l'accepte... » Celles qui continuent à enseigner le français du côté d'Oran, sans voile, comme Maïssa Bey, qui s'élève publiquement contre « la confiscation de la parole ». Ceux qui, comme le directeur du journal « la Liberté », persistent dans leur combat. A l'heure où les fous de Dieu assassinent tout ce qui tient plume, ces hommes, ces femmes sont simplement héroïques. Jean-Dominique Bauby, entièrement paralysé par un accident vasculaire rare, le locked-in syndrome, est mort à 46 ans, quelques jours à peine après la publication d'un livre rédigé dans des conditions extraordinaires. Il l'a dicté avec sa paupière gauche, la seule qu'il pouvait encore bouger. On lui récitait les lettres de l'alphabet, il clignait de l'oeil à chacune des lettres composant le mot qu'il voulait écrire. Au prix de cette fabuleuse gymnastique, 130 pages sont nées, fraîches, humoristiques, jamais larmoyantes, jamais attendries et de surcroît superbement écrites, « le Scaphandre et le papillon » ; il composait ses paragraphes dans sa tête et les apprenait par coeur avant de les dicter. L'un de ses amis, le réalisateur Jean-Jacques Beineix, a eu l'idée de filmer cet exploit. C'est ce document sans précédent que Bernard Pivot a diffusé dans « Bouillon de culture ». Car ce n'est rien de le raconter, il faut le voir pour y croire, il faut voir ce pauvre visage figé, cette bouche crispée, cet oeil unique où brille l'étincelle de vie, le dur miracle de l'intelligence intacte dans un corps pétrifié. Jean-Dominique Bauby était charmant, il aimait la bonne vie, il avait de l'esprit à revendre ; il en aura eu jusqu'à son dernier souffle. Alain Juppé chez Michel Field : tout doux avec les jeunes gens présents sur le plateau, eux-mêmes déférents. Une pirouette : « Est-ce que vous pensez être un jour président de la République ? - Si je vous disais que je n'y pense pas, vous ne me croiriez pas. - Non. - Et pourtant, je n'y pense pas. » Quelques paroles lénifiantes sur ceci et sur cela. Pas une aspérité. Manifestement, ses bons sondages lui ont adouci le caractère. Franz-Olivier Giesbert, rieur, a inauguré sur Paris Première une nouvelle émission littéraire. Il n'avait manifestement pas lu trois sur cinq des livres qu'il présentait. Où le directeur de la rédaction du « Figaro » prendrait-il le temps de lire cinq livres par semaine même en dormant trois heures par nuit comme c'est son cas ? Alors il a laissé la bride sur le cou à ses invités - Sollers, Elkabbach, Sabatier, Besson, Chazal -, laissant ceux qui parlaient le plus fort s'arracher la parole. Lui souriait, narquois... En résulta une aimable mêlée plutôt divertissante. Du rugby littéraire, en somme. Enfin Jacques Delors est apparu (« 7 sur 7 ») au mieux de sa forme, plaidant plus que jamais pour le dialogue social dont nous paraissons tristement incapables, défendant Lionel Jospin, s'inquiétant pour l'Europe, « rien n'est joué, l'avenir est ouvert », fustigeant la manière dont la France se résigne de plus en plus au modèle capitaliste anglo-saxon : « La gauche doit s'opposer à cette dérive lente... » Il parlait avec l'ardeur du militant qu'il n'a cessé d'être. Même s'il juge le moment venu de « laisser la place aux jeunes et aux femmes », inlassable, il combat pour sa vérité. F. G.F. G.
Jeudi, mars 20, 1997
Le Nouvel Observateur