Léon de ma jeunesse

«Oh non, pas vous!»
Qui n'a pas eu un trotskiste dans sa jeunesse parmi ses copains? Le mien est devenu PDG de choc, que les mânes de Léon lui pardonnent. Mais quand il était jeune, il ne fallait pas plaisanter avec un engagement qu'il tenait d'ailleurs soigneusement secret. Il était un peu parano ? ils l'étaient tous ? et il y avait de quoi, étant donné les brutalités et autres sauvageries auxquelles les communistes les soumettaient quand ils pouvaient tomber dessus. Sa morale était exigeante. C'est une époque où les jeunes gens n'avaient pas besoin de drogue pour supporter la vie. Comprendre le monde pour contribuer à le changer suffisait à les griser. Edwy Plenel (LCI) a essayé d'éclaircir les trois formes d'entrisme qu'ils pratiquaient en réunissant un historien toujours en activité dans le groupe de Pierre Lambert, J.-J. Marié, et l'auteur d'un monumental dictionnaire du mouvement ouvrier, M. Pennetier, tous deux fort compétents. Mais justement, ils l'étaient trop alors qu'on se posait des questions bêtes : que voulait dire être trotskiste du temps où Lionel Jospin entretenait ce mystère, et qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui où il y a plusieurs branches de culture différente? Est-ce un vieux mythe éclaté, une force politique ou une méthode intellectuelle d'analyse? Un coup de projecteur aurait été le bienvenu. Depuis que Lionel Jospin a déchiré le voile pudique qui recouvrait sa jeunesse, Dominique de Villepin, qui tire à l'Elysée les ficelles de cette affaire, s'emploie à en faire un scandale. Mais le feu ne prend pas pour l'heure. Après tout, qui ne se souvient que Jacques Chirac vendait «l'Humanité» le dimanche dans la rue et signait l'appel de Stockholm? C'était plutôt sympathique. Comme le trotskisme de Lionel Jospin. Qui fait encore grief à Alain Madelin de ses engagements musclés? Oui, mais devant les vertueux représentants de la classe politique qui glapissent«Mais il a menti», on a envie de dire :«Pas vous! De grâce pas vous?» Deux semaines de congés payés pour les pères après une naissance, on ne peut pas être hostile au principe. La Suède l'a mis en œuvre. Aujourd'hui, elle constate avec dépit que la mesure est sans effet en ce sens que, congés pris, les hommes retournent à leur travail et à leurs habitudes, et non aux soins ou à la garde de leur bébé. Les spécialistes penchés sur la question concluent à «la force des symboles», à «l'image traditionnelle de la virilité très difficile à effacer. Pourvoir le foyer, produire, réussir ce qu'on entreprend, assurer la sécurité des siens». Et l'un conclut, affligé: «Ce mécanisme est beaucoup plus présent chez les Suédois que ce que l'on croyait?» En France, Ségolène Royal ose espérer qu'il n'y a pas un Suédois dormant en tout homme. L'émission de Marc-Olivier Fogiel sur France3 («On ne peut pas plaire à tout le monde»), très tardive, est souvent gaie, on peut l'essayer de temps en temps. Une drôle de paire en occupait la plus grande part : Rika Zaraï et Frédéric Beigbeder. Cela vous rappelle quelque chose, Rika Zaraï? C'est cette chanteuse fort agréable qui recommandait de s'asseoir cul nu sur un bloc de glace en tenant un crucifix à la main pour guérir les cors aux pieds, non, j'exagère, ce n'est pas ça mais presque, et elle avait un succès fou avec ses publications. On ne sait pas où Fogiel l'a dénichée mais elle est toujours vaillante. Beigbeder, lui, a été parfait. Porté aux nues parce que son ouvrage, «99 F», est traduit en allemand, ce qui est, osons le dire, assez banal pour un écrivain français, il a bu l'encens jusqu'à la lie sans perdre son sérieux. Des passants, Jacques Toubon, Pierre Bergé, ont eu droit à moins de mansuétude. Fogiel sait mordre aussi. Marks & Spencer symbole de la barbarie capitaliste? Passée au filtre de «Capital» (M6) la célèbre affaire des licenciements jetés en quelques heures à la tête de tout le personnel européen et américain apporte d'autres éléments d'information. Que s'est-il donc passé? M & S, grasse et prospère au long des années, a régné sur une vaste clientèle éprise d'un certain style britannique. Quand de jeunes concurrents étrangers, américains, espagnols, italiens, apparaissent, M & S les dédaigne, sans s'apercevoir que leur production, leur décor la «ringardise». Quand les dirigeants prennent enfin conscience du danger, il est minuit Dr. Schweitzer, trop tard pour les tentatives de réorganisation mises en œuvre. Le matin où M & S a annoncé précipitamment ses licenciements, l'action était cotée en Bourse au plus bas et c'était la panique. Il ne s'agissait plus que d'essayer de sauver le pôle purement britannique de l'entreprise. Non seulement le procédé était scandaleux, il a été inefficace. L'action à peine regonflée s'est de nouveau écrasée. Selon «Capital», à la fin de l'année les magasins français seront repris et les licenciés tous reclassés. On croise les doigts? A l'issue d'un «Gai Savoir» excellent et grave, Elie Wiesel s'est écrié: «Nous sommes trop faibles en face du destin, alors? Alors crions!»

Jeudi, juin 21, 2001
Le Nouvel Observateur