L'école des gagnants

Un courant éducatif fonctionne au Japonpour fabriquer des adultes d'exception. En fait, on les forme surtout à la soumission...
Il aura suffi que la Terre, lasse, hausse les épaules et la catastrophe a déferlé sur la Turquie. Une immense catastrophe, humaine d'abord, économique de surcroît. Tant de malheur; tant d'impéritie aussi. Ces quarante-cinq secondes de terreur vertigineuse, quand le sol se dérobe sous vos pieds, c'est intransmissible. J'ai connu cela au Mexique. Et après, si l'on est indemne, l'affolement. Où sont les autres? Militaires indolents devant les immeubles écroulés : on bouillait. Les autorités turques sont-elles coupables de négligence alors qu'on sait construire des immeubles insensibles aux colères de la Terre, qui plient les genoux en quelque sorte, comme on peut en voir à Tokyo? Rien de tel n'a jamais été entrepris en Turquie. Mais quoi! A San Francisco, anéantie en 1906 par un séisme, où chacun a en tête que cela se reproduira, les propriétaires renâclent encore à dépenser 10% de plus pour adapter les constructions. En fait, ils ne le font pas. Alors pitié pour les Turcs! Programmes creux, en août c'est normal, je tombe sur «Sagas», jamais vu. Une vieille recette, des gens connus parlant d'eux. Cela commence par Nadine de Rothschild dans ses terres. Le sujet est bien un peu usé mais cette femme est drôle, pour finir, avec sa façon de se foutre du monde et de ce qu'il pense d'elle. Son dernier message : «J'avais un homme, je voulais le garder, j'ai réussi pendant quarante ans, il y faut des nerfs d'acier.» Maintenant, riche comme Crésus, libre comme l'oiseau, elle se laisse grossir, ouf! Suivirent une reine, Nour de Jordanie, une princesse, Ira de Furstenberg, un miraculé estampillé par Lourdes, Stéphane Bern avait son noyau dur. Le reste s'agglutina, que j'ai oublié, sauf le sourire triste, furtif, d'Hélène, celle d'«Hélène et les Garçons», disparue, et qui voudrait bien faire une rentrée? Dur. La célébrité, ça va ça vient. Des chirurgiens ont essayé de guérir une femme épileptique en lui coupant le cerveau en deux. Résultat : la patiente a deux cerveaux, chacun commandant une partie de son corps. C'est l'une des choses étonnantes qui émaillaient un excellent documentaire anglais sur le cerveau (France 2). Un organe assez dégoûtant d'aspect, à travers lequel on voyage maintenant. On a vu des neurones en liberté, les effets de la musique sur le cerveau qui isole la mélodie du son, on a vu où était le siège du langage, celui des comportements sociaux, celui de la mémoire qui peut stocker chez un individu lambda 1million d'informations. On avait envie d'en savoir beaucoup plus. L'intelligence, où est-ce? Nulle part. D'ailleurs, on ne sait pas ce que c'est. Et la conscience, comment se présente la conscience? On ne sait pas non plus. D'ailleurs, cela existe-t-il, la conscience? Si on commence à penser à ça, on devient fou. Tous les bébés sont-ils doués? C'est un vieux rêve à connotation fasciste : fabriquer des adultes d'exception à partir de jeunes pousses soumises à un traitement approprié. Il y a tout un courant éducatif qui fonctionne dans ce sens au Japon dans le but de faire des «gagnants». C'est ce que montrait un documentaire diffusé par La Cinquième. En fait de gagnants, on peut prédire que ces jeunes Japonais seront surtout formés à la soumission. S'il leur reste un peu de force, ils se révolteront. Mais laissons le Japon. Que faut-il penser de cette façon de cultiver les enfants comme oncultive des endives, en les soumettant parfois, comme certains aux Etats-Unis, à des horaires fous, à une pression de chaque minute? Interrogée par une jeune journaliste américaine, mère de famille, manifestement angoissée par son propre cas, Caroline Eliacheff a formulé quelques remarques rafraîchissantes. Et d'abord celle-ci : «Si vous avez envie de faire quelque chose, faites-le, n'accablez pas votre enfant du poids d'avoir à le faire à votre place.»F. G.

Jeudi, août 26, 1999
Le Nouvel Observateur