Il a donné de meilleurs concerts, mais jamais devant une salle plus fervente que ce soir-là, à Las Vegas
C'était sur LCI où Guillaume Durand l'interrogeait longuement. Valéry Giscard d'Estaing avait expliqué pourquoi il fallait selon lui déprécier le franc par rapport au mark et au dollar. On restait perplexe quand Durand demanda : «Est-ce que vous garantissez que si l'on suit vos conseils, le chômage diminuera et la croissance repartira? - Je le garantis!», s'écria VGE. Ce qui était peut-être s'avancer énormément mais donnait à son propos une force particulière. A le voir frémissant d'aise, une chose était sûre : il est remonté sur son cheval. Il ne faut jamais enterrer les hommes politiques avant qu'ils n'aient un pied dans la tombe. Appelé à donner son avis sur la question («7 sur 7»), Alain Madelin dit : «Faire un miracle? Ben non!» Bref, il est contre la dépréciation de la monnaie après avoir été pour quand elle se serait imposée, en 1991-92. Maintenant, il faut, dit-il, gouverner autrement. C'est tout le système français qui est en échec de haut en bas. On était, à vrai dire, tenté de le croire, même si les remèdes qu'il suggère laissent dubitatif. Camions échoués comme de grosses baleines, homme rugueux et tristes, automobilistes se pressant aux pompes ouvertes, images plates, répétitives... Rien. Et puis, il y eut le reportage d'«Envoyé spécial». Et tout à coup, la vie fut là. Et tous ces hommes pris dans la nasse qu'ils avaient eux-mêmes tissée, recrus de fatigue, furent émouvants pour en parler, y compris le patron qui avait accepté d'être interrogé. Comme quoi on peut mettre du talent partout. Se servir des enfants meurtris par la guerre pour faire de l'Audimat, la Une n'en est plus à une indécence près. Celle-là levait le cœur, cocktail de chanteurs et de douleurs présenté avec une vulgarité grandiose par Julien Courbet, qui n'en revenait pas de l'honneur qui lui était fait. Au point qu'il appelait Luciano Pavarotti «maître» . Pourquoi pas «Majesté»? Il a déjà pris tous les tics du métier, Courbet.«Et maintenant, on applaudit très fort...» Il l'a bien dit cinq fois. Des reportages sur les enfants de la guerre furent diffusés, déjà vus, Mylène Farmer montra très bas son dos, qui mérite d'être regardé mais n'était pas, là, exactement à sa place. De tout cela se dégageait un malaise. Les journalistes de TF1 ont refusé de participer à l'émission. Félicitations. Johnny Hallyday à Las Vegas. Il y a quelque chose d'attendrissant dans cette histoire. Ce rêve qu'il nourrissait de chanter à Las Vegas, comme Elvis Presley, cette idée d'y aller accompagné par 7000fans de tous âges, de toutes conditions, qui ont payé 7300francs leur voyage en charter, heureux comme on l'est quand on va à un rendez-vous d'amour... Car ils l'aiment, leur Johnny, ils l'aiment. Ce n'est pas une idole. C'est mieux : un ami, un frère. Et c'est ainsi que Johnny a chanté, un soir, à Las Vegas. Il est toujours beau, avec sa gueule de lion, il a donné de meilleurs concerts, mais jamais devant une salle plus fervente. Sa famille. Je t'ai donné mon cœur, j'ai le cœur fendu, Rodrigue as-tu du cœur? De quoi parlons-nous, quand le mot «cœur», si joli, nous vient aux lèvres? D'un muscle où les Anciens situaient l'âme. Et ceci, sans doute, explique cela. Il y a longtemps, cependant, en 1628, que William Harvey a découvert sa fonction, celle d'une pompe jamais en repos, de la naissance au tombeau. L'historique du cœur, sa symbolique, sa chirurgie, les aventures de quelques cœurs célèbres, tout cela a été ramassé dans un documentaire de tout premier ordre diffusé par Planète. On se prenait à visualiser son propre cœur, à penser à lui, si fidèle dans sa cage... Une réussite. «Le Vrai Journal» est réapparu sur Canal+ avec sa charge de petites insolences, de truquages impertinents et d'enquêtes dérangeantes. Ainsi ce maire condamné par la justice pour avoir licencié abusivement un cantonnier faux, et gracié en haut lieu. Ainsi la statue érigée dans le parc de Rambouillet représentant François Mitterrand nu, debout, conduisant une pirogue. On comprend qu'il en ait épargné la vue aux visiteurs de l'Elysée. Les interviews truquées étaient drôles, en particulier celle de Malraux. Karl Zéro a appris à ses dépens jusqu'où il peut aller trop loin. Il ne faudrait pas que, maintenant, la timidité lui vienne. F. G.
Jeudi, décembre 5, 1996
Le Nouvel Observateur