Éloge de la lucidité en amour et en amitié. Rester raisonnable dans ses affections.
Combien de déceptions nous épargnerions-nous si nous n'attendions pas d'autrui plus qu'il ne peut nous donner?
Les femmes, au cœur généreux, sont, plus que les hommes, victimes de ce crédit illimité qu'elles accordent spontanément à ceux qui leur inspirent amour ou amitié.
Elles livrent leur cœur, dépouillent leur fierté, se déshabillent moralement, donnent beaucoup, reçoivent peu, exigent davantage, et souffrent un jour devant la retraite, prudente de celui ou de celle qui n'en demandait pas tant.
Je ne voudrais pas faire ici le procès de l'enthousiasme, mais seulement l'éloge de la lucidité. Chaque être humain peut nous apporter quelque chose, un moment de joie, de plaisir, d'intérêt. Prenons à chacun ce qu'il peut dispenser.
Les femmes sont nombreuses qui changent d'amie intime tous les six mois. C'est à chaque fois le même emballement, la même confiance. On échange d'abord des adresses de couturières, puis des considérations sur la vie et les hommes, enfin les plus secrètes confidences. Pendant quelques mois, les amies semblent inséparables, se comblent de présents, ne se montrent plus l'une sans l'autre. Et puis un jour, on découvre que l'amie sûre ne l'était pas autant qu'on pouvait le croire, qu'elle s'est autorisée quelques médisances, qu'elle fréquente assidûment une maison ennemie. Déception et tristesse, tristesse et déception. On jure : « Ah ! on ne m'y prendra plus... »
Et puis, dans un thé, une charmante jeune femme vous donne l'adresse d'une cartomancienne étonnante. Rendez-vous est pris pour s'y rendre ensemble. Une nouvelle « amie intime » se dessine à l'horizon.
Pourquoi ne pas avoir pris à celle-ci la bonne adresse, à celle-là l'agrément d'une conversation spirituelle, à cette autre des conseils judicieux, sans donner en échange votre confiance ?
Il faut apprendre à jouir des qualités de ceux que nous rencontrons comme d'un beau paysage, d'une musique harmonieuse, d'un livre captivant, d'une cigarette savoureuse. Nous ne demandons pas aux roses de sentir la violette. Pourquoi chercher la légèreté chez le savant, la profondeur chez le sportif, la modestie chez l'acteur, la sincérité chez les hommes ?
Amitié, amour, ce sont des mots sacrés qu'il ne faut pas galvauder, des sentiments qui ne supportent ni la médiocrité, ni l'enthousiasme unilatéral.
Essayons d'apporter le maximum de lucidité dans le choix de ceux auxquels nous en ferons don.
En ce qui concerne l'amour, il faudrait d'abord s'obliger à faire une distinction entre le fait d'être amoureuse, et celui d'aimer. Oh peut être amoureux vingt-quatre heures, attiré par un visage, séduit par une voix, emballé par un esprit subtil. On peut être amoureuse de Tino Rossi ou de Charles Boyer. Les aimer ? Ah ! c'est une autre histoire. Comptables ou coiffeurs, ils perdraient l'essentiel de leur charme et la grande majorité de leurs admiratrices. L'amoureuse est aveugle. Celle qui aime ne l'est pas. Elle voit, et elle aime tout de même.
Méfions-nous de celui auquel nous ne trouvons pas de défauts. Que se passera-t-il le jour où, inévitablement, nous les découvrirons ? Dans une chanson réaliste, Fréhel disait : « Il est laid, contrefait, c'est un petit gringalet, mais je l'aime... »
Il faut compter aussi avec ses propres travers. La femme jalouse qui lie sa vie à un metteur en scène, un peintre, un avocat ou un médecin se prépare des moments pénibles. Celle qui souhaite une existence paisible, des habitudes régulières, passera des heures difficiles avec un journaliste, un cinéaste, un acteur. Et si vous n'aimez pas les déménagements, fuyez les sous-préfets et les officiers de carrière.
Enfin, dans le domaine de l'amitié pure, ne soyons pas crédules... ou volontairement aveugles. L'amitié authentique entre homme et femme est infiniment rare. Elle exige une entière bonne foi, une absence totale de coquetterie, une sincérité rigoureuse, un respect absolu des amours respectives de chacun. Contrairement aux femmes, les hommes donnent rarement sans exiger une solide contrepartie. Si cependant vous rencontrez un ami véritable, ne soyez pas de celles qui se croient déshonorées lorsqu'elles ne suscitent pas le geste ou le compliment galant. Après avoir tout mis en œuvre pour y parvenir, elles se plaignent des assiduités dont elles sont l'objet et déclarent d'une voix mélancolique : « Les hommes sont incapables d'avoir un sentiment pur... »
Ne serait-ce pas plutôt le contraire ? Les hommes après tout ne sont pas des saints. Et s'ils l'étaient, quel ennui !
Mardi, octobre 29, 2013
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