C'est un bien curieux spectacle que nous a offert le président de la République. Il était là, sympathique, affable avec des interlocuteurs peu complaisants, patient en tout cas. Mais il n'apparaissait pas comme l'acteur principal de ce qui se jouait là. Plutôt comme un observateur se regardant présider et s'interrogeant : «Pourquoi est-ce que ça ne marche pas, la France?» C'est justement ce qu'on lui demandait. Mais il n'avait qu'une réponse : ça ne marche pas parce que les Français sont conservateurs. Assurément. Lui le premier, qui ne parvient pas à se défaire de ce malheureux Juppé auquel il est attaché comme le lierre au mur... Conservateurs, l'explication est un peu courte, non? Mais il n'en avait pas d'autre et on le voyait aller, comme l'héroïne de Godard, celle qui répète : «Qu'est-ce que je peux faire? J'sais pas quoi faire!» On attendait des décisions, des perspectives, une philosophie de l'action. On eut le spectacle pathétique et même angoissant d'un président témoin de sa propre impuissance. Où était le battant, le volontariste, l'homme qui déclarait il y a deux ans : «On nous explique en somme que les Français, et non leurs gouvernants, seraient les premiers responsables de la crise puisqu'ils seraient rétifs au changement. [...] Ce serait la faute aux Français si le chômage nous conduit à une voie sans issue; s'il y a toujours plus de dépenses, d'assistance, de prélèvements obligatoires, de déficits publics [...] Je ne partage pas cette manière de voir»? Il aura tourné bride... Et alors, qu'est-ce qu'on fait? On se laisse couler? Non, non, il ne faut pas croire. On va réunir une commission pour étudier une réforme de la justice. On respire. A l'écouter, on pensait à la formule fameuse de Brecht : il faut changer ceci, il faut changer cela et si ça ne marche pas, il faudra changer de peuple. Au train où nous allons, c'est le peuple qui va finir par changer ses dirigeants. «Arrêt sur images» procéda à un joyeux décortiquage de l'émission et de quelques autres prestations présidentielles avec la complicité de Jean d'Ormesson, fort de son expérience. Son verdict : qu'on parle politique ou littérature, on ne fait jamais que de la télévision à la télévision, c'est-à-dire un show. Tout y est toujours superficiel. Déçu par Chirac? Non, parce qu'il n'en attendait pas grand-chose. Mais les gens attachent un peu de sacré à la personne du président. En même temps, peut-être qu'on n'en veut plus, du sacré? Le métier devient difficile. D'Ormesson fut piquant et aussi léger que d'autres furent sentencieux pour critiquer les méthodes de communication «à la française» du président de la République et de ses prédécesseurs... «Droit d'auteurs» fut, cette fois, brillant. Michel Coudray, qui vient de consacrer une enquête minutieuse au Front national, montra comment le parti procède dans les muni-cipalités qu'il contrôle. En l'écoutant, un participant allemand à l'émission, M. von Kageneck, s'est écrié: «C'est exactement ce qui se passait aux débuts du nazisme...» Michel Coudray ne dit rien de tel. Il se contente de décrire. «Vous faites trop de publicité à Le Pen, remarqua un intellectuel américain, Edward Saïd. Après tout, 11%, 15% d'électeurs d'extrême-droite, est-ce si important? Nous en avons davantage et leurs représentants sont au pouvoir au Congrès.» Un débat intéressant a opposé Michel Rocard et Edward Saïd sur la responsabilité de l'intellectuel. Pour M. Saïd, celui-ci doit rechercher inlassablement la vérité et la dire contre vents et marées. Michel Rocard objecte : qui dit la vérité qu'il croit détenir doit discerner l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité. Il redoute, lui, l'éthique de conviction, pure et dure. Ce bout de débat fut excellent. Enfin Gilles Perrault parla avec brio de «la Révolution américaine», troisième tome du «Secret du roi», où l'on sait que sa plume fait des étincelles. On l'accabla de comparaisons : était-il Alexandre Dumas? Taine? Michelet? Il n'est rien de tout cela. Seulement un écrivain superbe. Un massacre : le documentaire sur les Kennedy, que l'on avait vu sur Canal+, coupé, mutilé, réduit de moitié dans «le Sens de l'histoire» sur La Cinquième. Telle est la magie des Kennedy qu'il en restait tout de même quelque chose. Mais quelle boucherie! F. G.
Jeudi, décembre 19, 1996
Le Nouvel Observateur