Faut-il tout montrer, tout dire, alors que la peur est là? et que nous n'avons pas les moyens de la combattre?
Quel beau regard elle avait, cette jeune femme fauchée dans un champ de neige? C'est bête et méchant, la mort quand elle frappe avant l'heure? A l'œuvre en Afghanistan, elle nous envoie ses premières images, alors que la guerre était, jusqu'à présent, opaque, invisible, sans représentation. La voici incarnée dans des visages d'enfants aux yeux clos pour toujours, les moins supportables à voir. Du coup, les terroristes, ce sont les Américains. Pouvoir de la dialectique. Al-Jazira sait en user aussi bien que tel intellectuel français.On ne se donnera pas le ridicule de prodiguer des conseils au président des Etats-Unis. Mais chacun peut constater que sa stratégie a été jusqu'à présent inefficace et qu'il n'en a apparemment aucune concernant la communication. Or, en face, se trouvent des experts, parfaitement au fait des techniques de l'information, de la désinformation, de la manipulation, de l'intoxication. Pas des enfants de chœur sous-développés.Dans un excellent numéro d'«Arrêt sur images», Daniel Schneidermann a tenté avec David Pujadas, responsable du journal tout revigoré de France2, de cerner ce qu'il faut montrer ou exclure dans un journal télé en ce moment. Plusieurs exemples ont illustré les décisions, les doutes, les précautions prises par France2, en particulier en ce qui concerne l'anthrax et la guerre bactériologique. Car si on ne peut pas parler de panique ou de psychose, en France, la peur existe, indubitable, d'autant plus vive que l'on ne parvient pas à la formaliser. Le danger est sans visage. Dans ce contexte, fallait-il montrer qu'un avion peut tranquillement survoler La Hague sans être intercepté? Que la France est probablement incapable de fabriquer les vaccins contre la variole cependant annoncés? Matière première périmée. L'Amérique est dans le même cas. N'est-ce pas là une information précieuse pour les terroristes s'ils ne l'avaient pas encore? Doit-on enfin censurer ce qui risque d'affoler? Pour le moment, la question est ouverte, la réponse laissée au sentiment que doit avoir chaque équipe de sa responsabilité. Elle n'est pas mince.Autre chose, pour sortir un peu de ce tunnel : un documentaire savoureux sur une classe dans une école privée de Paris. Des gosses de 9 ans. Quatre en particulier. Adorables. Pas encore des petites brutes. Mais déjà intenables. Ce n'est pas tellement la maîtresse qui craque, elle est épatante et réussit à tenir son petit monde, ce sont les parents. La mère qui culpabilise à fond parce qu'elle ne sait pas expliquer un texte, celle qui a choisi de rester chez elle après son troisième enfant, mais qui est dépourvue de la moindre autorité, le père qui a plus d'intérêt pour son travail que pour son garçon, et alors ça fait mal. Ce sont aussi les enfants qui craquent parce que, entre le foot, les cours d'anglais, la piscine, le piano ou je ne sais encore quoi, ils sortent éreintés de leur samedi. Ce serait si bon, cependant, de s'ennuyer plutôt un peu, lové contre sa mère. Tout cela était bien filmé, sans pleurnicherie. Il n'y manquait que la célèbre réponse de Freud à une dame qui voulait s'assurer qu'elle élevait bien son petit. «De toute façon, madame, ce sera mal» («le Temps de l'enfance», France2).On se disait : «Célébrer Brassens, qui aurait 80 ans, ça va être encore une dégoulinade sentimentale et ça lui va mal.» C'était sous-estimer le savoir-faire de Drucker. Il avait réuni la fleur de la chanson française mais de façon informelle, tous assis sur des marches, n'importe comment, se tendant le micro l'un l'autre pour chanter la chanson de Brassens qu'il connaissait, parfois un autre la murmurait en même temps. C'était sans cérémonie, sans apprêt, familier, chaleureux. Un bonheur.«Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées», comme chante Brassens. Oh! Que oui. N'y a-t-il pas un petit clan qui le déclare aujourd'hui démodé? Il est démodé, oui. Comme La Fontaine (France2).Pascal Lamy, commissaire européen au Commerce, ce n'est pas le programme le plus sexy que l'on puisse proposer. Mais c'est la meilleure émission politique vue depuis longtemps («Grand Jury», LCI). Sur des sujets aussi ingrats que la mondialisation et le commerce international, qui ont jeté des foules dans la rue à Seattle ? on les attend maintenant avec la réunion du Qatar ?, Pascal Lamy est lumineux, lucide, informé, passionné d'Europe, dynamique, moderne au meilleur sens du terme. Voilà quelqu'un que l'on devrait solliciter plus souvent. Quand on pense à tous les zozos qui ont micro ouvert à la télévision... F. G.
Jeudi, novembre 8, 2001
Le Nouvel Observateur