Réflexions autour de l'emploi abusif du superlatif pour habillé les textes publicitaires
IMPÉRATIF SINGULIER
par Françoise GIROUD
Depuis quelques semaines, un placard publicitaire passe régulièrement dans la presse. Un placard qui affirme :
« Un titre qu'il faut toujours avoir sous la main : le bon d'électricité à revenu variable. »
Variable comme l'électricité, probablement.
On voudrait tout de même bien savoir pourquoi il faut toujours l'avoir sous la main.
Est-ce, comme le prétendent les chefs de certaines grandes entreprises, parce que sa vue adoucit immédiatement le contrôleur chargé de taxer les dépassements de consommation ?
Ou pour être prêt à le revendre à la première occasion ?
Est-ce pour s'en faire une torche lorsque le courant est brusquement coupé ?
Ou pour s'en servir en guise d'abat-jour lorsqu'il revient au milieu de la nuit ?
Il faut l'avoir toujours sous la main.
Ce n'est même pas un conseil, c'est un ordre. Et le placard ajoute :
« Les coupons peuvent servir à payer les quittances de courant qui vous sont présentées à domicile. Leur valeur est, dans ce cas, augmentée de 10 %. Renseiqnezvous. »
Qu'est-ce qui est augmenté de 10 % ? La valeur des coupons ? Ou celle des quittances ?
Renseignez-yous. Encore un ordre.
La publicité a de ces mystères que l'on ne songe même plus à élucider tant on a pris l'habitude de la subir sans trop y croire, et de ces impératifs auxquels on finit par obéir sans même y penser.
Un film sort ? C'est, au choix, un chef-d'œuvre ou un triomphe tandis que, dans les colonnes voisines, un critique hépatique déchue : « C'est un navet », alors que la vérité se trouve généralement entre les deux.
Une jeune actrice, un nouvel auteur surgissent ? C'est « la révélation du siècle », un siècle qui révèle énormément, mais qui ne confirme pas davantage que les précédents.
L'emploi du superlatif enlève chaque jour un peu de leur sens à des mots gonflés comme des jouets de baudruche et qui éclatent dès que les touche la pointe d'une plume inquiète.
(Suite page 2.)
Impératif singulier
(Suite de la première page)
De sorte que, au moment d'écrire : « Je me livre en ce moment à ces réflexions au bord du lac d'Annecy, dans un joli petit village que l'on appelle Talloires », j'ai un peu honte de tant de platitude d'esprit.
C'est donc dans « un site grandiose, au bord du lac fameux qui baigne de ses eaux limpides le village enchanteur, que je trace ces lignes immortelles (« immortelles », c'est trop, vous croyez ?) avec de l'encre superchrome. »
Et c'est sur la place... pardon ! la grand-place d'Annecy que j'ai vu hier une camionnette sur laquelle on pouvait lire :
« Annette, roman par Jean Deincourt. Grand Prix (pourquoi n'y a-t-il jamais de petit prix, ou de prix, tout simplement ?) des Nations. Vente directe de l'auteur au lecteur. Prix exceptionnel : 100 francs (pourquoi exceptionnel ?). A chaque acheteur, l'auteur offre un edelweiss porte-bonheur.»
Et, à l'intérieur de la camionnette, des piles de livres et d'edelweiss témoignaient de la bonne volonté de l'auteur tandis que, à l'extérieur, une file d'amateurs témoignaient de la force de la publicité.
F. G.