Cette fugitive bouffée d'oxygène qu'Arlette envoie aux opprimés...
Qui votera pour Arlette? On s'interrogeait en la regardant ramer devant «le Grand Jury». Elle n'est pas l'héroïne des antimondialistes organisés. Attac est rigoureusement opposé à l'interdiction de licencier, qui est son leitmotiv, et milite pour la taxe Tobin, qu'elle refuse. Attac ne soutient pas davantage la nationalisation des moyens de production, qu'elle préconise. Mais à l'entendre, on se disait que sa chanson berce la misère humaine et pas seulement celle du RMiste ou du chômeur, ou du communiste privé de son église. Celle des femmes et des hommes dont la vie est un peu plus dure, un peu plus triste, l'avenir un peu plus bouché qu'il n'est supportable et qui ont envie de le crier quelquefois. Avec une attendrissante bonne foi. Parce qu'elle croit ce qu'elle dit, c'est son secret, Arlette leur envoie une fugitive bouffée d'oxygène : un jour, ensemble, on cassera tous les bourgeois. Et il ne pleuvra plus jamais le dimanche. Autre échantillon de révolté chronique tout à fait intéressant : Michel Onfray, philosophe fécond, parfois exaspérant, qui publie aujourd'hui «Esthétique du pôle Nord», livre superbe qui lui vaut la tribune de LCI face à Edwy Plenel. Comme tous les chiens sauvages qui ont accepté, un jour, de passer le collier (en l'occurrence, celui du «Monde»), Plenel a un faible pour les rebelles, et Onfray l'est radicalement. S'il écrit cette fois sur le pôle Nord et les Inuits, cette sympathique population dont la civilisation et la culture sont en train de succomber sous le poids de la civilisation technique occidentale, c'est pour une raison un peu particulière. Enfant, ramassant des pommes de terre dans un champ avec son père ouvrier agricole, il a vu un avion sillonner le ciel. Il a demandé: «Où tu voudrais aller, toi, si tu pouvais?» «Au pôle Nord», a répondu le père. Les années ont passé, l'enfant est devenu un brillant sujet, enseignant la philosophie, écrivain dérangeant reconnu, les moyens lui sont venus d'offrir un tel voyage à son père. Tout cela est bien un peu édifiant pour coller avec sa réputation de libertaire. Qu'est-ce qu'il est au juste? Réformiste radical, dit-il. Voilà qui vaut mieux que les vieilles étiquettes. Plenel s'inquiète : «Comment peut-on rester fidèle à l'état de rebelle?» «On peut rester mystique de gauche, répond Onfray, on peut faire une lecture de gauche de Nietzsche, adorer Michelet, méditer Jaurès sur l'aristocratie des masses. Seulement, il ne faut pas aller manger à la table des grands.» Du côté des «grands», bon affrontement entre Dominique Strauss-Kahn et Nicolas Sarkozy, long, substantiel, où furent examinées les différences entre les programmes des deux présidentiables, qui ne sautent pas aux yeux mais qui existent néanmoins («Mots croisés», France 2). Les deux hommes étaient intéressants à entendre parce qu'ils sont l'un et l'autre ministrables et proches de leur candidat. Sarkozy se verrait bien Premier ministre, ne serait-ce que par défaut, mais il souffre encore d'un handicap, l'hostilité de Bernadette et de Claude Chirac. C'est lourd pour un seul homme. Le sac de nœuds des 35 heures a été franchement mis sur la table. C'est peut-être là que la sensibilité de gauche et la sensibilité de droite se sont le mieux exprimées. Après avoir dénoncé tous les méfaits, selon lui, de la loi, Nicolas Sarkozy a conclu : «Nous n'y toucherons pas.» Bizarre. Une loi si mauvaise, il faut l'abroger. Mais, d'évidence, le courage, à droite, n'ira pas jusque-là, la loi fait trop d'heureux ailleurs qu'au Medef. «Mais, précise Sarkozy, ceux qui voudront faire des heures supplémentaires pourront les faire! Que chacun puisse choisir!» «Il faut probablement des assouplissements, répond DSK, mais où avez-vous vu que les salariés décident de leur temps de travail? Qu'ils en aient le pouvoir? A travers les années, s'il n'y avait pas toujours eu la loi pour imposer la baisse du temps de travail, elle n'aurait jamais eu lieu.» Le propos de Sarkozy était de démontrer qu'en cinq ans le gouvernement de Jospin n'a fait que des bêtises. C'est le genre de choses qu'il sait faire avec une assurance efficace quand il n'a pas de contradicteur. Il aurait fait un remarquable orateur communiste en d'autres temps, assommant de ses certitudes. Mais DSK a autant d'assurance que lui et, manifestement, une culture économique et historique plus solide, qui ne sort pas d'un dossier pioché la veille. Le poids était de son côté. Cependant, Sarkozy n'a pas été ridicule. Un bon soldat de la droite. Chirac n'en a pas tellement. Dans un sujet d'«Envoyé spécial» consacré aux épouses des candidats, Bernadette l'a dit de l'une de ces phrases terribles dont elle a le secret : «Il fallait bien que mon mari se présente, il n'y avait pas vraiment de remplaçant, et quand je dis vraiment, c'est pour ne pas dire pas du tout!» F. G.
Jeudi, mars 28, 2002
Le Nouvel Observateur