Giscard trahi

La postérité retiendra de lui les calomnies et les mensonges dont il a été l'objet
Y a-t-il un roman français qui aurait dû retenir les suffrages des Goncourt plutôt que de les apporter au non-roman de Pascal Quignard? «Le Tigre en papier» d'Olivier Rolin peut-être? Mais il paraissait si heureux, Quignard, d'avoir la tête libre de soucis financiers jusqu'à mettre le mot «fin» à son douzième tome? C'en était attendrissant. Alors, que vive sa somptueuse litanie d'émotions, de réminiscences, de réflexions brochées de citations, le tout écrit dans une belle langue souple. Cette année on n'offrira pas le Goncourt à maman pour Noël, voilà tout. William Karel, auteur du film en deux volets consacré à Valéry Giscard d'Estaing, a employé pour ce faire une technique particulière. Il interroge sept à huit personnes qui se sont trouvées dans l'orbite du président, isole une ou deux phrases de chacun, puis sans transition passe sur Giscard, qui ne sait pas ce qui a été dit. De sorte qu'évidemment il ne réagit pas, et on s'étonne de sa longanimité, lui qui ne manque pas d'esprit de repartie. Au cours de l'émission, chacun met son grain de sel, donne son avis sur ce qu'il fallait faire de Chirac, qui lui tirait dans le dos, des diamants de Bokassa, sortis d'on ne sait où, mais lui n'entend toujours pas, il poursuit ses pensées comme il a dû le faire cent fois pendant des nuits d'insomnie : «Je n'aurais pas dû, là je me suis trompé, là je me suis réveillé trop tard?» Pourquoi, au milieu d'une vie toute de succès, a-t-il raté la dernière marche? «La postérité ne retiendra rien de ce que j'ai fait.» Ah, il ne se pavane pas! Elle retiendra en tout cas ce qu'on lui a fait et qu'il raconte : c'était pendant la campagne de 1981 qui l'opposait à François Mitterrand. Chirac s'était désisté. Giscard a téléphoné lui-même à la permanence du RPR, le parti de Chirac, pour demander : «Je suis un électeur hésitant? Dois-je voter pour Giscard?» «Ah non! lui a-t-on répondu. Pour Giscard, sûrement pas!» Recru de calomnies et de mensonges, après son échec, il n'a pas lu un seul journal français pendant des semaines. C'est à Raymond Barre que l'on doit cette conclusion : «Tout ce à quoi vous venez d'assister, ces coups bas, ces intrigues, ces trahisons, c'est la politique. Et ce n'est pas beau.» Non, ce n'est pas beau. Mais ça doit être grisant quelque part pour que le sevrage soit si rude! (France 3) Voyage à Berlin avec Bernard Pivot dans «Double Je». On a honte de baragouiner l'allemand alors que tant de Berlinois parlent le français avec aisance. Volker Schlöndorff, patron des studios de Berlin, est totalement bilingue. Sa culture littéraire est aussi vaste que sa culture cinématographique, acquise à la Cinémathèque de Paris. Quelque chose manque au cinéma en ce moment, dit-il. Il est étriqué, provincial, il manque une sorte de foi, de dynamisme, comme à l'Europe. «L'Amérique a tout balayé? suggère Pivot. ? Non, ce n'est pas l'Amérique. C'est la télévision. Moi, je ne regarde plus qu'Arte qui a enrichi notre vie.» Les théâtres sont pleins, mais on attend toujours la grande pièce sur le mur de Berlin. Quand il a disparu, les gens croyaient que cela n'allait pas durer, qu'il allait repousser. Heinz Berggruen, berlinois de naissance, marchand d'art parisien d'adoption, a ouvert au public son musée, le lieu que lui a offert Berlin pour qu'il accroche aux cimaises sa collection personnelle. Un beau cadeau fait aux Berlinois. Des Picasso, un Picabia sublime? Berlin ne cache pas son ambition de devenir la capitale culturelle de l'Europe (France 2). Martha Argerich est une pianiste géniale. Hélas, il est fréquent qu'elle annule à la dernière heure un concert. La première fois, elle avait 17 ans, c'était en Italie, la jeune Argentine venait de surgir sur la scène internationale. Ce fut un scandale. C'était en 1957. Elle n'a pas changé, toujours insoumise, musicienne inégalée, ce que confirmait le film rarissime à elle consacré (Arte). C'est la première fois qu'on l'entendait parler, avec un délicieux accent. Une somme d'archives musicales recueillies sur toutes les scènes du monde depuis ses débuts valait tous les adjectifs dont on peut assortir le jeu unique de Martha Argerich. Le document de Charles Enderlin sur les négociations israélo-palestiniennes avortées : atterrant. Pas une lueur d'espoir. On se hait. Point. F. G.

Jeudi, novembre 7, 2002
Le Nouvel Observateur