Mesdames et messieurs qui rêvez de vous faire voir à «Public», vous risquez de vous faire croquer à belles dents...
Il y avait tous les ingrédients nécessaires à la naissance d'une légende. Comment s'étonner que l'émulsion ait pris? A «Polé-miques», Serge July s'étonnait de son caractère universel. C'est la mondialisation de l'image qui en est la cause. Mais que l'on se souvienne d'Eva Perón, la madone des pauvres drapée dans le vison, du délire qui a suivi durablement sa mort. C'était le même phénomène à l'échelle d'un pays, au temps de l'avant-télévision. La grâce, l'amour, la mort foudroyante, la générosité sur fond royal, la rébellion contre l'ordre établi, le cocktail était irrésistible. Personne ne lui a complètement résisté. Par millions, les spectateurs ont regardé, à travers le monde, les funérailles originales de Diana, princesse de Galles. Original, ce Premier ministre récitant une épître de saint Paul, original ce chanteur de variétés, Elton John, chantant «Candle in the Wind», ce prédicateur saluant la mémoire de l'amant de la princesse, ce frère meurtri sermonnant durement la famille royale, oui, tout cela était original comme Diana elle-même et constituait un fameux spectacle. Et maintenant, chacun de s'interroger : que va-t-il advenir de la monarchie britannique? C'est l'affaire des Anglais qui ont donné d'eux, tous ces jours, une étrange représentation. Qu'est-il advenu de leur flegme légendaire? De leur réserve? De leur maintien? Tout s'est passé comme s'ils faisaient une révolution blanche pour dire à leurs souverains : «C'est fini». Quelque chose est fini dont ils ne veulent plus, et que Diana a détruit comme un château de cartes. On observera la suite avec intérêt... Deux émissions méritaient cette semaine d'être vues et comparées : l'une consacrée à Louis Aragon, l'autre à Paul Valéry. Celle qui concernait Aragon était un long plaidoyer pro domo de l'écrivain entièrement commenté par l'auteur lui-même... C'était bien fait, rien à dire. Mais que de complaisance à soi-même, que d'oublis dans sa biographie, que de trous de mémoire chez cette grande canaille... N'importe. Pour quelques vers, et surtout pour quelques romans, Aragon restera parmi les grands écrivains français (Arte). Paul Valéry, vu par Pierre Dumayet, ce fut tout autre chose. Une promenade dans une intelligence en mouvement. Des textes bien déchiffrés, des images émouvantes de l'homme, beau avec son visage maigre et son regard clair, pour qui le travail mental était un besoin et qui réclamait «le droit d'abandonner les idées que j'ai, sitôt qu'un autre les a» , ses relations avec Gide, avec Mallarmé, avec les mathématiques découvertes sur le tard, quelques vers si beaux, du «Cimetière marin»... Ce riche voyage autour de Valéry fut pur enchantement (FR3). Revenons sur terre. Frédéric Ferney, excellent animateur de «Droit d'auteurs», n'est sans doute pas responsable de sa programmation. Mais rediffuser, en ces jours de rentrée, une émission d'avant l'été qui n'en mériterait pas tant, ce n'est pas sérieux. Jean-Luc Delarue, blanchi de sa querelle avec Jean-Pierre Elkabbach, a pris le relais de Michel Drucker sur France 2. Il n'en a pas le velouté, mais ce jeune homme au physique d'énarque qui parle comme un traquet s'exprime dans une langue correcte et ne pèche pas par la vulgarité. Il faut aimer son style rêche. Question de goût. Guillaume Durand a pris le relais de Philippe Gildas, sur Canal+, dans «Nulle Part ailleurs». C'est un professionnel. Il sait tenir un plateau, intervenir d'un mot, interroger avec à-propos... Que lui manque-t-il pour être tout à fait à sa place? Quelque chose de subtil : la gaieté. Ce n'est pas son registre. Mais elle lui viendra peut-être quand il sera rodé. Michel Field a pris le relais d'Anne Sinclair dans «7sur7» rebaptisé «Public». Menus changements parfois heureux, décor ingrat. Quelque chose comme un toit de garage. Field a entamé son règne par un entretien avec Dominique Voynet. Elle est charmante, Mme Voynet, même s'il lui manque encore deux centimètres pour s'imposer à l'écran. Elle a su être sincère, ferme, modeste devant lui qui bouillait de se montrer brillant. Il l'a été par éclats, mais aux dépens de son invitée. Ils ne boxaient pas dans la même catégorie. Mesdames et messieurs qui rêvez de vous faire voir à «Public», gare à Field! Il vous croquera avec ses grandes dents. F. G.
Jeudi, septembre 11, 1997
Le Nouvel Observateur