Gémir ou réformer

Une nouvelle loi pour redéfinir les objectifs du service public? Oui, si l'on renonce d'abord à vouloir à la fois plus de qualité et plus d'audience
Il y a deux façons de regarder la télévision. On a sa chaîne et, de temps en temps, on va voir ailleurs. Ou on picore à toute heure parmi les chaînes. C'est beaucoup moins fréquent. C'est pourquoi la physionomie d'une chaîne, ce qui vous attache à elle, est si importante pour son audience. C'est cette physionomie que France 2 a gâchée par ses interminables turbulences internes, tandis que FR3 réussissait à préserver la sienne, plus modeste. Les gémissements à propos du service public reprennent donc de plus belle après l'éclat d'Albert du Roy. Il faut dire que nous avons un système unique au monde avec deux chaînes publiques unies sous un seul président qui valse tous les trois ans quand ce n'est pas deux ? quelle entreprise privée y résisterait? ?, une autre, La Cinquième, à vocation pédagogique, et une quatrième, Arte, libre de publicité mais dont chaque émission doit être négociée avec son partenaire allemand. Tout cela est baroque. Je ne sais pas quelle loi la ministre de la Culture va proposer au Parlement pour que soient redéfinis les moyens, les responsabilités et les objectifs du service public. Elle sera peut-être bonne si l'on renonce à vouloir à la fois plus de qualité et plus d'audience. Je l'ai écrit autrefois : les responsables rêvent d'une «grrrande» chaîne publique qui concilierait les programmes d'Arte et l'audience de TF1. On peut toujours rêver. Mais au moment où les chaînes numériques grignotent des spectateurs partout, il serait heureux qu'un peu de bon sens s'introduise dans la discussion. Le Crédit lyonnais, ça vous dit quelque chose? Planète a diffusé un document sur l'un de ses principaux exploits, celui qui aurait coûté à la trop célèbre banque 6 milliards! Bénéficiaire : l'ineffable Giancarlo Parretti, qu'elle finançait à guichets ouverts. Son homme lige, Florio Fiorini, sorti de prison, s'est mis à table. Il a décrit la spirale financière vertigineuse où Parretti, ancien comptable, s'est engagé pour finir par racheter la Metro Goldwyn Mayer, qui sera son Golgotha... Parretti, qui ne dédaignait pas de falsifier les chèques, avait la folie des grandeurs. Mais un jour il arrive à Naples en jet privé. Là, des journalistes dénoncent une de ses vieilles combines. Inculpation, il s'enfuit. Scandale aux Etats-Unis, à la suite de quoi Warner, qui devait entrer dans le capital de MGM, se retire. Toute l'affaire craque, malgré une nouvelle obole du Lyonnais, 1 million de dollars. C'est la chute. Perquisition au Lyonnais, tous les documents concernant Parretti ont disparu. On trouve une lettre de son avocat : «Détruisez les documents.» La conclusion de Fiorini : «Nous n'étions pas capables de faire des affaires aux Etats-Unis»! A côté de Parretti, Bernard Tapie est un enfant. Il a commencé à payer, on le laisserait tranquille s'il n'avait à nouveau passé son nez sur sa chaîne préférée, la Une. Il a vieilli. Il y a comme un voile de tristesse sur son regard. Il a confessé des erreurs de comportement, son besoin frénétique de paraître. Ses mauvais souvenirs? «Ce qui m'a fait le plus mal, ce sont les licenciements que j'ai été obligé de faire...» Sacré Tapie! Il n'a pas perdu la main. Ah! qu'il est donc triste d'être célibataire à New York! Un réalisateur anglais a observé quelques esseulés en quête de partenaires comme on observe des insectes, c'était excellent mais sinistre (Arte). Vu Jean Boissonnat sur LCI, où il parle chaque lundi avec son talent d'analyse habituel. A propos du voyage de Bill Clinton en Chine, qu'il approuve, il a dit : «Les Etats-Unis et la Chine seront les deux grandes puissances du XXIe siècle et sont destinés à s'affronter. Mais pas sur le plan militaire. Ce sont des pays marchands, ce que l'URSS n'avait jamais su devenir.» Entre marchands, on marchande. Ils nous ont menés à la crise cardiaque, les Français! Quelle angoisse à les voir ramer, cent dix minutes, devant des Paraguayens vifs comme des anguilles. Qu'est-ce que ce sera contre l'Italie! Laurent Blanc a sauvé son camp. Les Allemands aussi ont souffert jusqu'au dernier moment contre les Mexicains, mais ils ne s'inclinent jamais. Dans le registre des émotions, cette Coupe est somptueuse. F. G.

Jeudi, juillet 2, 1998
Le Nouvel Observateur