Inauguration de la boîte de nuit aménagée par le dessinateur Don. Description de la haute société qui composa alors l'assemblée
Deauville, c'est un casino et trois grands hôtels qui se remplissent le vendredi soir et se vident le lundi matin.
Il paraît qu'il y a aussi une plage.
Les trois hôtels sont également confortables, également chers, également déficitaires bien qu'ils abritent, dans les bons week-ends, quinze cents personnes, mais ça n'a aucune importance : ils ne sont là que pour fournir un toit — un joli toit — aux joueurs. Et, de mémoire d'homme, on ne vit jamais un casino déficitaire, si l'on vit parfois des joueurs gagner...
On raconte volontiers à Deauville l'histoire de ce chauffeur auquel ses maîtres dirent, un samedi soir :
— Albert, nous n'avons plus besoin de vous. Venez demain à midi...
Albert, quand ii eut regardé trois fois les dix vitrines de la ville, commença à s'ennuyer. Alors, il entra au Casino. C'est toujours ainsi que ça finit. Mais lui ne savait rien du jeu. Il risqua 500 francs... A deux heures du matin, il avait un million. Le lendemain à midi, au lieu de trouver leur voiture, ses patrons trouvèrent une lettre où Albert les remerciait de leurs bons traitements et ajoutait :
''Je m'en vais tout de suite, parce que si je reste je sais que je jouerai de nouveau et que je perdrai ce que j'ai gagné. Or, cette somme représente ce que j'osais espérer au bout de toute une vie d'économie. Alors, je pars tout de suite, dans mon pays, où je vais acheter un garage. Monsieur et madame comprendront sûrement...''
Cette année, il y a gros jeu, mais l'événement de la saison c'est l'ouverture de la Malibran, boite de nuit aménagée par le dessinateur Don pour pendant à l'autre boîte de nuit de la ville, le Brummel.
L'inauguration fut à la fois un succès, une comédie et un drame. Un succès parce que la second Empire était fort joliment décorée, que les femmes étaient ravissantes ou connues et réunissaient parfois ces deux qualités, parce que les hommes portaient de grands noms de l'aristocratie, du théâtre ou de la politique, que lord Granard bavardait avec M. Forgeot secrétaire général de l'Elysée,, tandis qu'un élégant sénateur : Jacqueline Patenôtre, et Mme Petsche riaient en écoutant Henri Bernstein.
Ce fut aussi une comédie parce que personne ne s'aperçut qu'à cette salle Second Empire on avait donné le nom d'une cantatrice morte eh 1836 — ce qui prouve que l'on peut être quelqu'un de très bien et ne pas avoir la mémoire des dates... ni des vers que Musset dédia à la Malibran.
Enfin ce fut un drame parce que Don avait demandé que la soirée d'ouverture soit strictement rééervée à quatre-vingts de ses amis venus spécialement de Paris pour dîner en
sa compagnie.
Pour quatre-vingts élus, i] y eut donc au moins quatre-vingts vexés, ceux qui n'étaient pas invités.
Ceux-là, et quelques centaines d'autres, durent se contenter de dîner dans la grande salle des Ambassadeurs, d'admirer la jolie mine de Martine Carol en robe d'organdi blanc à pois noirs, de se lever pour écouter Line Renaud chanter La Marseillaise...
La vérité oblige à dire que si les robes étaient belles et parfois somptueuses, si les brillants étaient ventrus et les émeraudes dodues, je n'ai pu compter dans toute la salle que sept femmes correctement coiffées, c'est-à-dire avec des cheveux propres et brillants. Et sur ces sept-là, il y avait quatre mannequins.
Pourtant, il y a à Deauville un coiffeur qui ne ferme presque jamais, pourtant ces dames avaient les moyens et le temps d'y aller.
Le cheveu poussiéreux et terne, celui qui assassine n'importe quelle robe, était roi.
Du lundi au vendredi, Deauville prend soudain un petit air familial. On s'y promène en pantalon (mais le pantalon est interdit dans les salles de jeu et l'entrée du Casino est interdite aux hommes sans cravate. Un chasseur obligeant en a toujours deux ou trois à proposer aux contrevenants), on va dîner dans un petit restaurant italien, on découvre que la ville est pleine d'enfants que papa et maman viennent voir le samedi de Paris, on se souvient que Trouville est de l'autre côté du pont avec sa grande piscine olympique et ses estivants sans façon. Mais que revienne le vendredi soir et Deauville reprend son visage nocturne et étincelant, l'orchestre du Brummel conduit les danseurs jusqu'à une sorte d'hystérie collective qui se termine par une farandole à travers les rues blêmes où se lève le soleil ; c'est aussi l'heure où le joueur qui a perdu deux ou trois millions entre chez le bijoutier qui ne ferme jamais avant le Casino, pour vendre son étui à cigarettes pendant que celui qui a gagné en achète un ; c'est Deauville.
Mardi, octobre 29, 2013
Elle
vie mondaine