François premier

Chapeau : Un second rôle, François Périer? Allons donc! C'était un prince du théâtre, et d'une qualité humaine exceptionnelle. Louis Jouvet avait été son maître, Simone Signoret, sa boussole : on pouvait choisir plus mal
Cette fois, il en fait beaucoup, M. Raffarin, avec sa mine pateline pour dénoncer les dépenses excessives de Lionel Jospin. Quand a-t-on vu, en France, un budget d'Etat qui ne souffre pas d'un «déficit d'exécution», selon la formule en usage? Mais avec le secours de l'inflation, d'une dévaluation et de quelques manigances, cela s'avalait tandis que la monnaie fondait. Maintenant que l'Europe contraint à la vertu, c'est autre chose. Il faut maintenir le déficit du budget de l'Etat dans une fourchette étroite, la même pour tous les Etats membres (moins de 3% du PIB, le produit intérieur brut). Pas de combine pour tricher. Quand on regarde le fameux audit, destiné à révéler aux yeux des Français la responsabilité des socialistes dans les difficultés qui s'annoncent, on trouve par exemple la prime de Noël aux RMistes, la couverture maladie universelle, les loyers de la gendarmerie, etc. Des dépenses scandaleuses? Elles dépassent les recettes telles que celles-ci avaient été anticipées en établissant le budget de l'année. Là est «la faute»: un optimisme exagéré sur la croissance pour 2001, fondé sur celle des années qui précédaient. On a du mal à y voir «la propension socialiste à vider les caisses» . D'ailleurs elles étaient vides en 1997, quand DSK a commencé à y mettre de l'ordre, et la charge de la dette (10% du budget) avait augmenté de 6 points depuis 1990! Elle a été stabilisée. Tout cela n'empêche pas d'espérer que les concessions aux médecins et les gâteries aux contribuables qui ne sont pas les plus nécessiteux ne mettront pas le prochain budget en «défaut d'exécution», c'est affaire de croissance, c'est-à-dire de chance. Sinon, M. Raffarin ira au coin. «Jupiter rend fous ceux qu'il veut perdre.» Rarement le vieux dicton aura été mieux adapté qu'à la chute de la maison Messier. Treize milliards ? en euros ? de pertes en 2001, plus de 30 milliards de dettes, des milliers d'épargnants abusés, des milliers de salariés en danger, la réputation de la place de Paris sérieusement malmenée parce que, avec son air de bébé Nestlé, Jean-Marie Messier rêvait. Devenir un acteur majeur, voire le premier, de l'industrie américaine de la communication, s'attribuer un salaire vertigineux, être prince à Hollywood, fêté par la société la plus fermée de New York en jouant, avec l'argent de Vivendi, l'emploi grisant de mécène, régner, quoi! C'était autre chose que d'être bien pépère en France à la tête d'une compagnie de retraitement des eaux. Messier n'est pas snob, le mot serait trop faible, sa folie va bien au-delà. C'est l'idée qu'il se fait de lui-même qui l'a emporté sur les sommets d'où il lui faut tomber aujourd'hui si cruellement. La fête est finie. Filmé il y a quelques jours par une télévision lors d'un conseil d'administration, il avait une expression surprenante. Quelque chose comme de l'espièglerie. Comme s'il avait encore un tour dans son sac. Selon les connaisseurs, c'est un financier de premier ordre. Mais, selon l'un des administrateurs de Vivendi, furieux d'avoir cédé trop longtemps à son charme et de se retrouver mêlé à une pareille déconfiture, «il a semé la merde, maintenant il faut qu'il la mange» . François Périer était quelqu'un d'une qualité humaine exceptionnelle. Annonçant sa mort, les télévisions répétaient qu'il s'agissait d'un «second rôle». Non, François Périer était un premier rôle, ô combien, dans l'espace noble de son métier, le théâtre. Le cinéma, c'est le tiroir-caisse des acteurs. Il a joué plus de 80 pièces, certaines pendant plus de 1000 représentations. François Périer était bon, généreux, délicat, il a élevé tendrement un fils dont il savait qu'il n'était pas de lui et qui porte toujours son nom. Il savait et aimait admirer même les succès des autres. Ce qui est rare. Louis Jouvet a été son maître, Simone Signoret, sa boussole. On pouvait choisir plus mal. Avec François Périer une époque se clôt. Ainsi va la vie. F. G.

Jeudi, juillet 4, 2002
Le Nouvel Observateur