Succès en librairie du dernier livre de François de Closets « Toujours plus », dénonçant les privilèges.
FRANÇOIS DE GLOSETS : IL FAIT FORTUNE EN DENONÇANT LES PRIVILEGES
par Françoise Giroud
Quarante-huit ans, l'air d'un jeune premier qui se cacherait derrière des lunettes, objet d'un phénomène comme il ne s'en produit pas tous les dix ans avec son neuvième livre, « Toujours plus », François de Closets cherche à comprendre. C'est sa marotte, comprendre. Ensuite, il explique, c'est son métier. Publié en mai, « Toujours plus » a passé l'été en tête des ventes. Satisfaisant. Pas stupéfiant. C'est l'aspect « catalogue des privilèges débusqués », secrets dévoilés qui est, selon lui, à l'origine du succès initial. Du « voyeurisme social », dit-il. Mais, depuis l'automne, le livre ne se vend plus : il s'envole. Quatre cent mille exemplaires ont transité par les libraires. Accueilli comme un livre anti-socialiste parce qu'il révèle que la « privilégiature » n'englobe pas seulement les héritiers, les céréaliers et autres notaires, mais de nombreux salariés, électeurs traditionnels de la gauche, « Toujours plus » est désigné en octobre par François Mitterrand comme un ouvrage salutaire. Closets, qui n'est pas de sa paroisse - ni d'une autre d'ailleurs - en a été « sidéré », dit-il. On chuchote maintenant qu'il est récupéré, ce qui le fait bondir. Sa paroisse, c'est la France. Donc, « je veux passionnément que les socialistes réussissent », dit-il. Il a également souhaite que Raymond Barre réussisse. Curieux pays où on voit là un changement d'attitude. Bien que son ouvrage concerne exclusivement le système social français, lequel est spécifique, l'« International Herald Tribune » lui consacre en novembre un article à la Une. La presse française, qui a distraitement laissé passer « Toujours plus », découvre, avec six mois de retard, qu'il est urgent de s'y intéresser. Doubles pages, photographies à l'endroit et à l'envers, avec épouse, avec enfants, de la notoriété, François de Closets passe au vedettariat avec son cortège de courrier, de sollicitations, de malentendus, d'hyperboles aussi. Rude épreuve où plus d'un s'est détérioré, aucun organe n'étant plus prédisposé à l'enflure que la tête. Mais je l'observe, assis chez moi, un dimanche : il ne donne pour l'heure aucun signe de dilatation du moi. Il sait qu'il est bon dans ce qu'il fait, il ne va pas minauder. Mais il sait aussi que, à ce degré de succès, ce n'est plus la qualité d'un livre qui est en cause, c'est son adéquation à une demande inconsciente du public au moment où les esprits s'ouvrent sous le poids d'événements, à telle ou telle réalité jusque-là mal perçue.
- Vous n'avez pas honte, privilégié comme vous l'êtes, de dénoncer nos petits avantages ? lui dit-on ici et là. Privilégié ? Il s'insurge. Dans le lointain, oui, une famille d'ingénieurs qui, curieusement, ont tous fait carrière dans l'hémisphère austral. Il y a encore des Closets par là, de nationalité anglaise. Mais pour ce qui le concerne directement, un grand-père qui se ruine tout en créant sa propre entreprise et se rapatrie, ratissé ; un père qui ne s'en remettra jamais et végétera en faisant négligemment huit enfants... « Pratiquement, nous avons été élevés par les allocations familiales, dit-il, d'ailleurs ma mère s'y est tuée. » Amer privilège de vivre, enfant, la débine en milieu doré, qui n'est sans doute pas étranger au côté loup solitaire de ce Closets-là. Dans la jungle de la société, il chasse et survit seul, n'appartient à aucun clan. Ces derniers temps, on le considère comme s'il avait gagné au loto et, pour un peu, on lui demanderait son truc. Travaillez, prenez de la peine, ce sont les lecteurs qui manquent le moins. Certes, s'il suffisait de travailler pour avoir la capacité et l'intuition d'écrire « Toujours plus » au juste moment - après avoir eu l'intuition et la capacité d'écrire, en 1974, « Le bonheur en plus » qui se vendit la bagatelle de 200 000 exemplaires - s'il suffisait de travailler, cela se saurait. Mais si l'on pouvait y parvenir sans travailler, cela se saurait aussi. Closets a constaté cet été, avec stupeur que, depuis dix ans, il ne s'était pas permis une lecture qui ne fût utile... Ce ne sont pourtant pas les livres en tout genre qui manquent chez lui : sa femme est chef du service littéraire de « L'Express ».
Ignare en sciences, quand l'Afp lui a assigné, il y a vingt ans, le poste d'adjoint au journaliste chargé des questions scientifiques, il a trouvé ça drôle. Ses loisirs qu'il bourrait de théâtre - il était alors le jeune époux d'une jeune comédienne - en ont singulièrement rétréci. Mais c'est excitant d'apprendre, surtout quand on apprend vite. Lorsque, trois ans plus tard, en 1965, il entre à la télévision, le terrain de la vulgarisation scientifique - espace, science pure - lui appartient. Il va s'y ébattre avec succès. Mais quoi de plus mutilant que la spécialisation quand on s'y éternise, alors que le monde en mouvement est à déchiffrer ? La France, pour commencer. Publié en 1977, « La France et ses mensonges » annonce « Toujours plus » qui est, en fait, l'analyse selon Closets de notre système social, juxtaposition de corporatismes, réseau de privilèges qui ne rétribuent ni une capacité, ni une productivité, ni une utilité particulières mais la puissance de groupes de pression. D'abord ignorée, la formidable résonance de son ouvrage l'a placé dans le collimateur de la Cgt et du parti communiste qui lui fait sa fête. Cinq articles dans « L'Humanité » en un mois, a-t-il compté. Néanmoins, les cadres Cgt l'ont invité à venir discuter avec eux. « Vous vous destinez à la politique, évidemment, lui a dit un jour un professeur à Sciences Po. De quel côté ? Vous pouvez passionner n'importe quel auditoire sur n'importe quel sujet. » Passionnés, les cadres Cgt l'ont été. Convaincus, c'est plus douteux. « Bravo, vous avez du courage », lui a-t-on dit de l'autre côté.
Du courage ? Il réfute, sec. « Ecrire et parler librement n'exige pas de courage en France. Heureusement. » Le difficile - et le rare - c'est de penser librement. Un fameux privilège, celui-là. Mais que l'on s'accorde à soi-même et dont personne n'a le pouvoir de vous priver. A cet égard, oui, il est drôlement privilégié, François de Closets...