Fellini le magicien

«On devient un morceau de tissu?»
Eh bien, en voilà un qui ne baisse pas les bras! François Bayrou a fait au «Grand Jury» un discours plein d'une telle assurance, d'une telle conviction, d'une telle ironie sur le duo Chirac-Jospin à Barcelone qu'il fallait se pincer pour se rappeler où il en est dans les intentions de vote? 3%. C'était un vainqueur qui expliquait comment il fallait gouverner la France, de bas en haut et non de haut en bas. C'était un chef qui intimait aux journalistes du «Grand Jury» l'ordre d'organiser un débat entre tous les candidats au lieu de rester frileusement sous la couette des deux présumés présidentiables, bref, c'était un homme déchaîné. Il en faut dans une campagne. François Bayrou n'est pas de ma paroisse mais sa pugnacité doit être saluée. «Le communisme est l'avenir du monde»? Faire applaudir cette déclaration par 5000 personnes enivrées, il faut le faire, en 2002. Arlette l'a fait. Cette vieille connaissance a un tel talent qu'elle pourrait emballer une salle de Japonais en lui récitant l'annuaire. Elle est en train de tondre la laine sur le dos du pauvre Hue qui ne mérite pas cette offense. Parmi les drôles de choses qui se disent en campagne, on a entendu également Charles Pasqua annoncer que s'il était élu il rétablirait la peine de mort. Encore un programme qui fait vibrer. Intéressant aussi, Charles Millon, le scandaleux de Lyon. LCI l'a longuement interrogé. S'exprimant en termes excellents, il avait quelque chose à dire : c'est que Jacques Chirac, pour qui il votera, sera battu s'il continue à faire campagne au centre et pas à droite. Tout un électorat qui se sent abandonné, méprisé s'abstiendra. Oserai-je dire que je ne partage pas l'humeur journalistique générale où l'on se lamente sur le niveau de la campagne. Une remarque cependant. Il se passe beaucoup de choses dans le monde, ces jours-ci. Chacun des deux présidentiables s'honorerait en prenant un peu du précieux temps d'antenne dont il dispose pour regarder hors de l'Hexagone, nous dire ce qu'il voit dans les chaudrons des sorcières de Macbeth et quel rôle il assigne à la France. Qu'est-ce qu'un créateur? Un artiste? Quelques réponses ont été données à ces questions par l'un d'eux, Federico Fellini, auteur de tant de films superbes qu'on renonce à les énumérer. Il parle de lui dans un documentaire réalisé un an avant sa mort, en 1993. D'entrée, il prévient : «Je ne revois jamais mes films. Mais quand par hasard cela m'arrive je me dis : Qui a fait ça? C'est un autre qui m'habite et qui fait tout?" Je n'ai jamais choisi de faire un film, ils se sont présentés. [?]Je signe un contrat, je prends une avance, je ne peux pas rembourser, alors je tourne. [?]Mon métier me démontre que je suis un magicien. Je sens en moi une puissance quasi divine. [?]Les névroses sont très utiles

Jeudi, mars 21, 2002
Le Nouvel Observateur