Première de l'émission politique « Face à face ». Invité : Guy Mollet, député de l'opposition. FG qui faisait (visiblement) partie des interrogateurs tire les leçons de cette expérience et tente de pointer les défauts de cette rencontre.
TOUT le monde — ou presque — a regardé « Face à face » à la télévision, parce que M. Guy Mollet est une vedette, et une vedette de l'opposition. Tout le monde sauf, par force, le principal intéressé et ceux qui l'interrogeaient.
Comment était-ce ? Si j'ai bien compris ce que l'on m'en a dit : pas ennuyeux, mais décevant. Ennuyer étant le pire, le pire a donc été évité. Mais pas le reste. Or, cette émission est la première d'une série. D'autres vedettes de la politique et d'autres journalistes y participeront. Alors il n'est peut-être pas inutile d'énumérer quelques-uns des pièges que, les uns ou les autres, nous n'avons pas su éviter.
- Le bavardage, alors qu'il faudrait se limiter à des questions formulées brièvement, et avec précision. C'est difficile. C'est possible ;
- La profusion de sujets. Il est impossible de passer en revue la carrière d'un homme en quarante-cinq minutes ;
- La confusion. Autant il est relativement facile de contrôler ses propos lorsqu'on parle seul, autant la dynamique de la discussion entraîne à la vivacité, pour ne pas dire plus. Pour éliminer toute suspicion de « censure », il était convenu qu'aucun « modérateur » n'interviendrait (comme c'est le cas à Europe n° 1 et aux Etats-Unis), fût-ce pour clarifier un point en litige. Il faut que les relations entre l'O.R.T.F. et les Français deviennent assez saines pour que l'existence d'un tel modérateur n'inquiète personne ;
4) La personne même de M. Guy Mollet (du moins pour ce qui me concerne). M. Guy Mollet est, depuis 1960, « dans l'opposition ». Je ne crois pas être suspecte d'être ailleurs. Tenter de mettre M. Guy Mollet en difficulté la première fois qu'il pouvait s'exprimer sur l'écran : pas agréable. Ne pas le faire, alors que sur tant de points... Egalement désagréable. Il fallait y penser plus tôt ;
5) L'effet physique que produit un homme seul en face de quatre interrogateurs. C'est la règle du jeu partout où cette émission est pratiquée. Mais elle peut être ressentie comme une lutte inégale par le public français, qui sous-estime ses hommes politiques et leur part de « métier ». M. Guy Mollet est un interlocuteur rompu aux débats, et qui répond, depuis plusieurs années, dans des réunions privées ou publiques à des attaques sur la plupart des thèmes qui ont été abordés. On ne le prend pas au dépourvu. Ce qui m'a étonnée, c'est plutôt que lui ne nous prenne pas plus souvent au dépourvu et ne profite pas davantage de la tribune qui lui était offerte pour entrer dans le vif de l'actualité. J'en connais avec lesquels, comme nous étions partis, nous aurions passé un dur quart d'heure.
Conclusion ? Graham Greene a dit quelque part (dans « Le Figaro Littéraire », je crois) : « Ça pourrait être une salutaire expérience de paraître à la télévision et de faire un « bide » définitif. Mais... non. De quelque façon que ça tourne, vous êtes là, dans la situation d'un acteur qui sait qu'on le regarde. Vous êtes le jouet des techniciens, la cible des éloges et des critiques. Même pour une bonne cause, même pour défendre une idée à laquelle on croit vraiment... Non, non, à aucun prix, je ne voudrais paraître à la télévision. »
Bien sûr. Mais la télévision, aujourd'hui, fait partie de la vie. Et il faut accepter de vivre avec les risques que cela comporte, même s'il est vrai que « la radio tend à corrompre l'individu et que la télévision le corrompt absolument ».
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique