un grand artiste. Et un mondain? Où est le mal?
Le petit ? le grand ? César ne régalera plus ses amis de ses spaghettis? Le sculpteur aux mains d'or s'est éteint à 77 ans après une série de cancers courageusement endurés. Jusqu'au bout il y eut près de lui une jeune femme tendre qui a éclairé ses dernières années. César est un cas. C'est un grand artiste qui a été l'un des premiers à appréhender la prégnance de la technique sur son époque et à l'incorporer à son art. Mais il n'a jamais eu la pleine reconnaissance des milieux artistiques où on lui a éternellement reproché d'être «mondain» parce qu'il avait, par exemple, compressé la voiture de Marie-Laure de Noailles et qu'il dînait chez elle. Il dînait partout, c'est vrai, partout où on l'invitait. Il s'exhibait. Mais dans le quartier populaire de Marseille où il est né, le petit Baldaccini remplissait des bouteilles et livrait des bonbonnes. Son père, italien, était immigré? Ensuite, tout en étudiant aux Beaux-Arts, à Paris, où il a passé treize ans à patauger, il a vécu de rapines et de ruses. Totalement inculte, il s'excusait : «Je viens du bout du monde.» C'est plus tard qu'il a découvert Michel-Ange et Verrocchio, Germaine Richier et Picasso. Mais il n'a jamais pu lire un livre. Il a commencé par travailler la ferraille faute d'autre matériau. Alors, oui, quand, vers 35 ans, les riches collectionneurs se sont mis à l'acheter et à le prier chez eux, il a été ébloui. Il n'était rien, il était devenu ce dont il n'avait jamais osé rêver. Mondain? Si l'on veut. Il se montrait partout. Où était le mal? A chacune de ses trouvailles, à chaque exposition où il affirmait sa maîtrise, sa virtuosité, la force de son imagination créatrice, les critiques d'art le matraquaient. Seuls deux d'entre eux, non des moindres, Pierre Cabanne et Restany, l'ont toujours soutenu. Cet ostracisme, parfois virulent, ne l'a pas empêché de gravir toutes les marches de la célébrité. Et de la fortune. Mais il en a souffert. «Quoi que je fasse, on m'engueule», disait-il. C'était un petit homme méfiant au regard triste, un peu pitre parfois, toujours angoissé, un petit homme encore tout embué de son enfance, avec cet air un peu traqué du fils d'immigré, habité par la «peur de manquer». Tel fut, irritant et émouvant, César le Grand. Son œuvre, majeure, restera. Les sots passeront. Que faire des sans-papiers et des clandestins qui gagnent l'Europe? La question se pose de façon aiguë en Belgique, où règne l'arbitraire et où l'on expulse des immigrés qui sont là depuis dix-sept ans. Christine Ockrent a réuni pour en parler une sénatrice belge, un député français de l'opposition et Cohn-Bendit, qui avait renoncé ce soir-là à faire un numéro. Conclusion du débat : il faudrait répartir le fardeau entre les divers pays concernés en fonction de leurs capacités d'accueil et de leurs besoins en main-d'œuvre étrangère. Un objectif pour l'Europe. A moins que l'on ne préfère l'entourer de barbelés. Avec ses fesses volumineuses et ses lèvres génitales hypertrophiées, celle qu'on appela «la Vénus hottentote» était exhibée à Londres vers 1810. C'était une jeune femme noire, Saartjie Baartman, enlevée en Afrique du Sud. Ce pays s'indigna. Plainte fut déposée mais non retenue. Saartjie fut vendue en France à un libraire qui, à son tour, l'exhiba. Le naturaliste Georges Cuvier l'examina et conclut qu'elle était proche, par sa race, de l'orang-outan. Quelques mois après, Saartjie s'éteignait, à 26 ans. Ses restes sont au Musée de l'Homme, témoignage accablant d'un racisme ordinaire (FR3). On avait un FN. Voilà qu'on va en avoir deux. «Si les scissionnistes font un petit parti, je ne leur donne pas un mois pour disparaître», a déclaré Le Pen chez Michel Field, où on l'a vu sur la défensive. Pour le moment, le chef et le félon s'engueulent d'un bord à l'autre sur toutes les chaînes, jumeaux dépareillés ivres de ressentiment. L'état du conflit résumé par Le Pen : «Ce qui me différencie de César? Quand il a vu son fils Brutus, le poignard à la main, il s'est couvert la tête de sa toge pour être immolé. Moi, je tire mon épée et je tue Brutus.» Il a encore du talent, l'animal. C'est ce qui manque le plus à Brutus Mégret. F. G.
Jeudi, décembre 17, 1998
Le Nouvel Observateur