Compétition sportive organisée chaque année par 5 entre écrivains et journalistes
L'honneur des écrivains se place parfois dans leurs pieds.
Non pas parce qu'il leur arrive d'écrire avec, mais parce qu'une fois par an ils se disputent à la course les lauriers « d'écrivain sportif ».
Il s'agit en somme de prouver que les intellectuels n'ont pas forcément poitrine creuse et jambes molles, que les sportifs n'ont pas forcément cervelle creuse et plume molle. Cette démonstration s'effectuait cette année sous le patronage de « Carrefour » et sur les pelouses du Stade Français.
Le charme de cette compétition tient à la conviction avec laquelle on s'y affronte. Tous arrivent nonchalants, hésitants, tenant un short d'une main et un enfant de l'autre, qui vient voir comment papa se débrouille à l'heure de la récréation, tous craignant le ridicule, maugréant d'avoir quitté la rassurante table de travail.
Et puis, soudain, un grand souffle de jeunesse passe sur ces crânes tourmentés et souvent désertés par ces habituels ornements des crânes que l'on nomme cheveux. Thierry Maulnier ne songe plus à l'exégèse de « Phèdre », mais à battre Serge Groussard à la course, et la consommation du liniment remplace pour quelques heures celle du whisky.
Or, on croit, n'est-ce pas ? Qu'on connaît un monsieur pour l'avoir rencontré dans un salon en complet bleu marine. Erreur ! Le jour où on le retrouve nu jusqu'à la ceinture, et en caleçon au delà, sautillant d'une jambe sur l'autre, il devient extrêmement difficile de le reconnaître, et tout à fait impossible de le prendre au sérieux.
C'est ainsi que les dictateurs devraient être obligés de faire leurs apparitions. Pour peu qu'ils n'aient pas le ventre absolument plat et les jambes rigoureusement droites, ils y perdraient beaucoup de leur influence, sur l'élément féminin en particulier.
On se fait tellement d'idées fausses ! Comment imaginez-vous, par exemple, un poète épiphaniste ? Eh bien ! Ils ne sont pas du tout comme ça. Ils courent comme des gazelles, ils lancent le poids comme Micheline Ostermeyer — ou presque — et ils sautent 1 m.60 en hauteur avec l'aisance d'un lecteur qui saute un paragraphe ennuyeux.
C'est, du moins, sous cet aspect impressionnant que l'on vit samedi Jean l'Anlelme, battant le record littéraire de 1 m.55 détenu par Jean Fayard.
Ce poète est un sauteur.
Les journalistes étaient non moins brillamment représentés par Jean-François Brisson, fils de Pierre, sportif authentique, qui lança le poids à 9 m.94, tandis que Gilbert Prouteau battait le record littéraire de saut en longueur détenu depuis 1873 par J.-H. Rosny aîné.
Encore un que je n'aurais jamais imaginé sautant ailleurs qu'à la gorge d'un critique, Rosny. Surtout l'aîné !
Gilbert Prouteau est un passionné. Il a déclaré avec force :
— Christian Mégret court comme un facteur...
Mégret, pin-up boy de « Carrefour », faillit répondre qu'il n'avait plus vingt ans, ni même trente. Mais il se ravisa, et préféra avouer sa défaite au 250 mètres plutôt que son âge.
Le Magot Solitaire courut le relais mixte avec sa femme. C'était, en somme, les Deux- Magots. Ils arrivèrent seconds, après Brisson, imbattable.
Ce jeune homme est un coureur.
Marcel Achard, courageux mais pas téméraire, a couru simplement chez un marchand de jouets pour acheter les prix décernés aux gagnants de la « Course des espoirs ». Les espoirs, ce sont les enfants des écrivains sportifs.
Véronique Vialar, cinq ans, fille de Paul, remplaçait cette année son père comme porte-drapeau de la famille.
— Défaitiste, Paul Vialar?
— Non, défait, répondait-il en montrant une jambe au muscle foulé.
Bref, les écrivains sportifs passèrent samedi une bonne après-midi au grand air, et dimanche une mauvaise journée à soigner leurs courbatures toutes fraîches.
Sur cette paisible réunion flottait une grande ombre : celle de Jean Prévost, homme complet qui sut allier avec maîtrise l'art de l'écrivain à celui du sportif avant de mourir, simplement, comme il vécut, sous les balles allemandes.
Mardi, octobre 29, 2013
Carrefour
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