Et le talent?

Il avait belle allure, le Giscard de 1974. Ceux de cette année, décidément, ne sont pas gais. Un peu de brio ne ferait pas de mal?
Nous voici le nez sur la première élection présidentielle désenchantée de la Ve République. Il y a moins d'intérêt pour les compétiteurs que s'ils faisaient une régate. On n'a jamais vu ça s'agissant de l'élection capitale en France. Comment expliquer cette désaffection du peuple pour la colonne centrale de ses institutions? Cette façon d'exprimer dans les sondages que l'un ou l'autre on s'en fout? Réponse automatique : «C'est parce que les affaires ont fini par discréditer la classe politique.» Or, au bout d'une longue vie, je n'ai jamais vu ladite classe créditée d'autre chose que d'ambitions vulgaires et de corruption chronique, sujets dont chansonniers et autres humoristes font leur beurre. Cet esprit-là est vieux comme la République, en passant par le Second Empire. Il n'a jamais détourné les Français des urnes. Un électeur sur trois seulement invoque l'attitude de Chirac se dérobant à la justice. Ceux-là croient que politique sans morale dégoûte les peuples d'eux-mêmes. Je le crois aussi. Mais nous sommes peu nombreux. Un président avec une fibre morale, et puis quoi encore! Vous rêvez, nous dit-on. Non, on voit bien que la bouderie procède surtout de ce consensus mou qui a servi depuis cinq ans de projet à la France. C'est la funeste cohabitation qui a vidé la politique de son sens, lequel n'est pas de s'unir sur n'importe quoi et sur l'heure d'été! Pendant six mois, soit, pendant cinq ans, c'est une cure de sommeil. Néanmoins, dans un pays où le débat public a tenu une telle place, où la notion de «bien public» a été si vivace, pareille dépolitisation du corps électoral reste, au point où on l'observe, énigmatique. Peut-être y a-t-on tout bêtement conclu que ce qui change vraiment la vie, c'est le téléphone portable? Les chefs d'Etat, on les a en prime! C'était amusant dans ce climat de revoir le film de Raymond Depardon sur la campagne de Valéry Giscard d'Estaing, en 1974 (Arte). Il avait belle allure, le candidat, quelque chose de juvénile et de joyeux qui emporta le cœur des Français quand il descendit à pied les Champs-Elysées. C'était « le roi est mort, vive le roi.» Mitterrand n'avait pas le même genre. Ce furent les roses du Panthéon. Que va trouver le prochain titulaire du titre? Un peu de talent ne ferait pas de mal, en tout cas. Dans sa chronique du «Monde», Daniel Schneidermann brocarde la «guerre des images» que se livrent les deux candidats de tête, lugubres selon lui. Le fait est qu'ils ne sont pas gais, l'un qui sourit trop, l'autre pas assez. Cela ne paraît pas très grave, mais dans une campagne moderne c'est-à-dire avec des caméras voleuses partout, on peut tout perdre ou tout gagner sur une image. Voilà Pivot revenu. A des heures excentriques mais enfin, il faut s'y habituer. Après un générique romantique, ce fut une heureuse surprise que ce «Double Je», dont le principe est de découvrir des étrangers mêlés à notre vie culturelle. On était sceptique, on avait tort. Ce fut un très bon moment. La pétulante interprète anglaise d'Eric Rohmer, Grace Elliot, fut brillante; le nouveau directeur du British Museum, Nill Mac Gregor, livra dans un français parfait une flopée de sujets de réflexion sur l'approche différente de l'art en Grande-Bretagne et en France. Un jeune violoniste albanais échappé à 15 ans de l'enfer qu'était son pays, réfugié politique donc, en concert en France, a donné un échantillon convaincant de son talent. Quelques moments vivants et gais de beauté à la portée de tous (France 2). Besoin d'un rein pour le faire greffer? On vous trouvera ce qu'il vous faut en Moldavie. Le rein moldave est le moins cher d'Europe. Il est proposé par petites annonces. Les acheteurs se jettent dessus. Ils ne veulent plus de reins du tiers-monde parce qu'ils ont peur que l'organe en vente véhicule le sida. Une forte demande vient d'Israël et le marché se conclut en Turquie. On se retrouve au Grand Hôtel d'Istanbul. Entre les malades, les trafiquants, les chirurgiens et les mutilés volontaires, c'est un cauchemar moderne où «Envoyé spécial» nous a fait entrer (France 2). F. G.

Jeudi, février 28, 2002
Le Nouvel Observateur