A chaque apparition, Chirac a fait campagne pour Le Pen
Quelque part on a mal, quelque part on a honte, quelque part on a peur. Elle a une sale tête, la France aujourd'hui, la «légère et frivole nation», éternelle Mme Angot qui chante «C'est la faute au, c'est la faute au, c'est la faute au gouvernement», comme si elle n'était pour rien dans ce qui lui arrive. On ne se méfie jamais assez des électeurs. Tous les chefs fascistes ont d'abord été élus. C'est pourquoi il faut s'en occuper à temps. Et, que cela plaise ou non, voter pour Chirac le 4 mai. Strict devoir national. Le vote de dimanche a été surprenant en même temps que logique : Jacques Chirac récolte à peu près ses éternels 20%. Mais, à chaque apparition, il a fait campagne pour Le Pen. Chaque tirade sur l'insécurité a été un cadeau au roi de la trouille, chaque description haletante d'un pays livré aux voyous et aux assassins par Jospin. Si quelqu'un n'a pas mérité le désaveu qui lui est infligé, c'est le Premier ministre, même si, en campagne, il n'a su être qu'un bon professeur, pas un capitaine. Il fait une belle sortie, digne, noble. Si Chevènement n'avait pas trahi... On peut rêver, ou s'énerver, en l'entendant déclarer qu'une «souveraineté républicaine nouvelle s'affirme»! N'importe quoi! Reste ce qui pourrait être la prochaine surprise : les législatives. Elles risquent de nous replonger dans les délices conjugués de la IVe République, celle qui a fini dans la déroute, et de la cohabitation, qui nous a conduits où nous sommes. «Légère et frivole nation ...» Messier out? L'homme le plus endetté du monde (12,9 milliards d'euros pour le groupe VU, Vivendi Universal) est un mauvais chef d'entreprise mais un financier mirobolant. Malgré la méfiance du marché, qui a fait chuter l'action VU de 36% depuis le 1er janvier, il trouvera peut-être des appuis pour rester en selle. Mais la bulle Messier a crevé. Les Français, qui ne sont pas tous détenteurs d'actions, l'ont appris par le biais de ses démêlés avec Canal+, l'un de ses fiefs, dont il a expulsé brutalement l'un des seigneurs, Pierre Lescure. «Ramollo, embourgeoisé», disait-il de celui auquel Canal+ doit ce qu'il a été, une chaîne «pas comme les autres», un peu canaille, joyeuse. Ceux qui l'ont regardée ces jours-ci ont pu observer de leurs yeux l'effet de l'exclusion de Lescure. La maison à feu et à sang, la prise d'antenne par un personnel véhément, l'appel à la résistance des abonnés. On l'aime, Lescure, et pas seulement à Canal, on respecte le professionnel, on adore le saltimbanque hors normes. Et on le distribue spontanément dans le rôle populaire d'Astérix contre la mondialisation. La vérité est autre. Lescure a été un partisan enthousiaste de la fusion entre le groupe Canal+ et le groupe Universal, qui ouvrait à ce fou de cinéma une perspective fabuleuse : Hollywood, la production de films là-bas, ce qu'aucun étranger n'a jamais réussi. Qui aurait résisté? Il a fallu peu de temps pour que l'illusion se dissipe, qu'Universal le coiffe d'un grand crocodile américain. Avec la bénédiction de Messier. On l'avait prédit dans ces colonnes mêmes. Replié sur Canal, sa base, le voilà maintenant viré après dix-sept ans de mariage. Dans un entretien, le dernier tourné dans son bureau, il n'a pas eu d'aigreur à l'égard de Messier. Il pense simplement que cet homme remarquable n'a pas eu de jeunesse, et qu'à vivre la sienne avec trop de retard il a disjoncté. Je le dirai autrement : Messier a fait afficher sa photo partout. Puis il s'est dit : je suis célèbre puisqu'il y a ma photo partout. Il a oublié que c'est lui qui l'a collée. Mégalo grisé, il n'a pas soupçonné la tempête que ce licenciement-là, après tant d'autres bien digérés, allait déclencher. On a pu voir, sur Canal, le successeur de Lescure choisi par Messier, Xavier Couture, venu pour prendre ses fonctions. Il est accueilli par un porte-parole des salariés réunis, qui lui dit, très courtois : «J'aurais été heureux de vous connaître dans d'autres circonstances, mais je n'ai pas envie de vous voir ici, pas du tout.» L'autre est interloqué, mais ne se dégonfle pas, il avance, il y a peut-être là cent personnes, une voix crie :«On ne veut pas de vous!» Vingt voix reprennent : «On ne veut pas de vous, foutez le camp!» C'est une bronca. «Il faudra faire avec, grommelle Xavier Couture, qui fait retraite sous les huées...Je reviendrai demain.» Endetté jusqu'aux oreilles, Messier va être obligé de vendre tout le paquet Vivendi, soit Canal, Cegetel, le téléphone, «l'Express», quelques éditeurs, mais surtout la Générale des Eaux, perle de la couronne, de loin la plus juteuse. Messier essaie d'éliminer son patron, Henri Proglio, peu disposé à ce que les communes françaises soient bientôt alimentées en eau par les Américains. Soutenu par Bercy, M. Proglio s'incruste. Mais le feuilleton de l'eau ne fait que commencer. Celui de Canal, avec ou sans Couture, pourrait occuper les prochaines semaines, en alternance avec les élections... F. G.
Jeudi, avril 25, 2002
Le Nouvel Observateur