Elisabeth Guigou : Une blonde d'acier

Garde des Sceaux aujourd'hui, ministre de l'Emploi demain ? L'ancienne conseillère de Mitterrand en a la trempe. Et c'est à point nommé qu'elle sort son autobiographie*
Elisabeth Guigou est l'une de ces femmes gâtées dont les tailleurs paraissent toujours bien coupés. En fait, c'est elle qui est bien coupée, fluide et flexible, avec sa grande mèche blonde. Ce n'est pas l'image que l'on se fait d'un garde des Sceaux mais les Français l'ont adoptée, réservée, pas fière, seulement un peu distante comme si, toujours, elle se protégeait. Sa grâce austère sied à sa fonction. Le ministère de la Justice est le lieu concentrique de tant de malheurs de la population? Sa vie s'est déroulée au service de l'Etat, et à des postes sensibles. Ce qui en fait un observateur et un acteur exceptionnels de ce monde opaque. Elle a d'abord été une petite fille dont le père est agriculteur au Maroc avant l'indépendance. Elle ne comprend rien aux événements et rêve de devenir diplomate parce que l'histoire se fait dans les salons des ambassades, pense-t-elle. Faire l'histoire, avoir prise sur elle, c'est manifestement la vocation précoce d'Elisabeth Guigou. Et l'ambition? On hésite à l'écrire. Non qu'elle en soit dépourvue, on ne devient pas garde des Sceaux en regardant pousser les pâquerettes et elle sait très bien qu'elle peut se trouver en situation d'être Premier ministre. Elle ne doute pas d'en avoir le cas échéant la capacité. Mais elle ne voit pas cette perspective comme un homme la verrait, en s'accrochant avec les ongles. Elle a la tête froide. Après tout, dans une carrière assez mirobolante, les choses sont venues à elle. Sauf l'ENA. Ses aventures avec l'ENA, où elle n'a réussi à entrer qu'à la troisième tentative, sont révélatrices d'un caractère de fer dans l'obstination. Mais enfin elle en est sortie, dans un rang médiocre, et elle est entrée à la direction du Trésor au moment où Valéry Giscard d'Estaing, président de la République, déclarait : «Il faut nommer des femmes.» Elles seront deux au Trésor. Et de surcroît, bien accueillies! Quand on lui demande ce qu'elle faisait dans son beau bureau, il est clair qu'elle se sentait comblée au centre du système monétaire et financier où elle avait à prendre d'assez lourdes décisions techniques. Ce n'est plus ainsi aujourd'hui, mais «le cœur de l'Etatétait là», dit-elle. Le mot «passionnant» est celui qu'elle prononce le plus souvent pour qualifier ses fonctions au cabinet de Jacques Delors, puis à l'Elysée où Mitterrand l'a réclamée comme conseiller technique et où elle a été au creux de la tempête pendant la crise de 1983. Pendant un moment, seule une poignée de gens savent la vérité sur l'état des finances de la France, Elisabeth en fait partie. Elle a sa part de responsabilités dans les décisions qui ont été prises. Mais elle remarque : «C'est facile quand on est conseiller, bien à l'abri dans un cabinet, on n'est pas exposé. » Plus tard, elle mène de l'Elysée la bataille de Maastricht avec toute sa foi. C'est elle qui persuade Mitterrand de faire un référendum. Le président accepte d'elle ce qu'il n'accepte quasiment de personne : l'expression de la vérité dérangeante. Elle n'a pas peur de lui. D'ailleurs, de quoi a-t-elle peur, Elisabeth? Il faudrait creuser loin pour trouver le point où elle est fragile, vulnérable, et si l'on s'y hasarde elle ferme ses volets. Devenue ministre déléguée aux Affaires européennes, ça y est, elle est exposée. Elle prévient son fils, qui a 10 ans : maman va être ministre. Elle le met en garde sur ce qu'il peut entendre à l'école, sur les jalousies, les injures qui peuvent s'exprimer. Tout le monde ne comprend pas, alors, pourquoi elle se lance dans la politique régionale. C'est qu'elle ressent très vivement cet abîme entre les «gens» et leurs dirigeants. C'est mortel. Alors elle va vers les gens, dans le Vaucluse. Ses débuts sont difficiles, houleux, elle n'a pas vraiment le style, la Parisienne? Elle le trouvera. Là comme partout, elle a travaillé, elle s'est acharnée, elle a monté des centaines d'escaliers, elle a frappé à des centaines de portes, elle a serré des centaines de mains, et en 1997 elle a été élue députée du Vaucluse, battant une autre femme députée sortante RPR. Va-t-elle s'éterniser à la Justice? Il n'est pas gai, ce ministère, mais elle voudrait achever ce qu'elle a entamé, en finir avec le scandale des prisons. Ses proches disent qu'elle est exacte, rigoureuse, qu'elle sait prendre des décisions, mais qu'elle est d'une exigence redoutable en particulier avec les textes qu'on lui soumet. Elle ne supporte pas le jargon, la confusion, elle fait refaire dix fois. Ils disent :«Elle est dure. » Elle l'est probablement. Mais sous le personnage qu'elle a construit d'étape en étape apparaît furtivement, par éclairs, la jeune fille rieuse qu'elle a été, socialiste de choc, imbattable sur la littérature américaine, amoureuse de son jeune mari et qui aimait danser? F. G. (*) « Une femme au cœur de l'Etat », Fayard, 300 p., 130 F. SES DATES 6 août 1946 : naissance à Marrakech 1974 : diplômée de l'ENA, entre au ministère de l'Economie 1982 : conseiller technique de François Mitterrand 1990 : ministre déléguée chargée des Affaires européennes 1992 : conseillère régionale de Provence-Alpes-Côte d'Azur 1997 : ministre de la Justice

Jeudi, octobre 12, 2000
Le Nouvel Observateur