Editorial n°1068

Suicide du Pr Lacassagne, 87 ans qui se sentait fléchir intellectuellement
Le Pr Antoine Lacassagne, cancérologue de grand renom, qui dirigea longtemps l'Institut Pasteur, s'est donné la mort, l'autre semaine. A 87 ans.
Parce que, le 31 décembre, la Terre tournera une fois encore sur ses gonds de nuit et de lumière pour ouvrir une année nouvelle, il eût été de meilleur usage de parler d'une naissance. Mais c'est un sujet gai, ou plus exactement tonique, celui qui traite d'un homme maître de lui jusque dans les grands âges, orgueilleux comme il faut l'être si on le peut, affrontant la mort, c'est-à-dire la vie, avec simplicité.
De qui peut-on dire cela aujourd'hui où, à toute angoisse devant la difficulté d'être, on évoque majestueusement des « problèmes de civilisation »... Cela existe donc, la civilisation sans problème ? Où cela ? que nous y courions... Donc, parce qu'il était inquiet d'avoir, en une circonstance récente, fléchi intellectuellement, et parce qu'il savait, bien sûr, qu'à 87 ans, physiquement diminué, un fléchissement de cet ordre pouvait annoncer la déchéance, le Pr Lacassagne a choisi sa sortie.
Elle devait être loin encore, la déchéance, pour qu'il ait pu en avoir cette conscience. Mais quand on pense aux années passées, par exemple, par Winston Churchill, dans la nuit de l'esprit, après avoir été Churchill, quelle misère que ce corps que l'on continuait d'appeler Churchill...
D'un mot laissé derrière lui, le Pr Lacassagne a demandé que son corps soit livré à l'autopsie. Puis incinéré. Ainsi aura-t-il disposé de lui-même jusqu'au bout, et au-delà.
Ce n'est pas cela, un homme libre ? C'est, en tout cas, cela aussi.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express