Sur la clairvoyance de l'opinion publique et le bien fondé de son irritation face au gvt
L'immense majorité des Français n'a jamais vu un gramme d'héroïne. La plupart des lycéens sont de braves petits. L'automobile ne tue, en France, que quinze mille personnes par an. Pourcentage faible par rapport au nombre de personnes, conducteurs et passagers, qui se déplacent en
voiture, et au nombre de kilomètres parcourus. Il n'y a pas un contribuable sur dix qui fraude le fisc, pas un parlementaire sur cent, pas un fonctionnaire sur mille qui soit corrompu. (A propos : ce n'est pas le moment d'essayer.)
Quoi encore ? Nombre de terrains ont été acquis à des prix honnêtes, pour y construire honnêtement des immeubles qu'habite une majorité de ménages unis. La France n'exporte pas que des armes. Et il arrive même que le gouvernement propose à la ratification de l'Assemblée d'excellentes dispositions : par exemple, le doublement de l'allocation de salaire unique au bénéfice d'une catégorie de familles, tandis que, au-delà d'un certain revenu, ladite allocation sera supprimée.
Aussi ceux qui ont la responsabilité des affaires de la France sont-ils indignés de voir, ces jours-ci, l'opinion publique excessivement sensibilisée, selon eux, au négatif de ce positif, à cause de quelques fripons.
Ils ont raison. Et, cependant, ils ont tort. L'opinion publique n'est ni stupide ni versatile comme on aime à le croire quand elle vous lâche. Elle est patiente, au contraire, et sage, et lente à s'émouvoir. Elle sait, dans son ensemble, consciemment ou non, faire la part des choses.
Quand la dose de vénalité, d'impéritie, de mensonge, de corruption reste dans les limites de l'irréductible, elle l'absorbe. Elle vit avec, et, même, elle en profite.
Mais on dirait qu'il y a un seuil. Un moment où la dose dépasse de quelques grains ce que, en un temps donné, l'organisme collectif peut tolérer. Alors, alors seulement, il y a rejet. Cela peut se produire demain. Dans un mois, dans un an.
Tout n'est pas pourri au royaume de Danemark. C'est une vue romantique, donc excessive, des choses. Prosaïquement, on dirait plutôt que la salière est en train de tomber dans la soupe.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique intérieure