Sur le sentiment de bonheur des français (suite à la publication d'une enquête à ce sujet dans Le Figaro)
Etes-vous heureux, vous, Français, dans la France de 1971 ?
Bof ! ont répondu les Français, interrogés à ce sujet par la Sofres, pour « Le Figaro ».
Heureux, qu'est-ce que ça veut dire ? Les quatorze questions posées par les enquêteurs avaient pour objet, est-il précisé, de voir « comment le citoyen ressent les contraintes et les aliénations » que lui impose la société, et de le cerner « dans ses aspirations et ses refus relatifs au type de société dans laquelle il vit ».
Que cette curiosité et cette terminologie aient cours au « Figaro » pour parler du bonheur, en somme, c'est intéressant en soi. Les résultats de l'enquête le sont également.
La réponse donnée à l'une des quatorze questions est même, dans son genre, une bombe. « Estimez-vous, ont demandé les enquêteurs, qu'il y a dans la France d'aujourd'hui une lutte des classes, c'est-à-dire une opposition profonde d'intérêts entre certaines classes sociales, ou bien pensez-vous, au contraire, que les intérêts de tous les Français vont dans le même sens ? »
17 % seulement des personnes interrogées estiment que les intérêts de tous vont dans le même sens. 64 % estiment qu'il y a lutte des classes, opposition profonde d'intérêts.
Des autres réponses fournies aux enquêteurs, on ne saurait déduire que les Français refusent la société où ils sont — ni d'ailleurs qu'ils l'acceptent. On ne saurait dire qu'ils s'y sentent bien — ni d'ailleurs qu'ils s'y sentent mal. Peut-être parce qu'ils ne s'y sentent pas bien, mais craindraient de se sentir plus mal encore dans une autre.
La plupart de leurs réponses traduisent plus d'inquiétudes que de confiance en l'avenir. Serions-nous devenus à ce point frileux ? Voir l'avenir en noir, fût-ce au milieu d'un présent rose, ou gris, c'est le contraire même du bonheur — individuel ou collectif.
M. Chaban-Delmas, qui assure le commentaire des résultats de cette enquête dans les colonnes voisines du même journal, croit y voir le signe que la manière dont le pays est gouverné correspond bien à ce que les Français souhaitent. Il semble que ce soit là une interprétation hardie.
Mais s'il le croit, c'est une bonne chose. Pour lui. Cela fait au moins un Français indubitablement heureux dans la France de 1971.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
société