Sur les relations France-GB
Chers Anglais. Nous voici donc, une fois encore, sur le même bateau. Qu'allons-nous faire ensemble, cette fois-ci ?
A part le beurre de Nouvelle-Zélande, nous aurions beaucoup à gagner, si, en vous incorporant à l'Europe, vous nous injectiez quelques-unes de vos vertus nationales. Et d'abord cette allergie au fanatisme dont votre humour est le complément direct.
C'est l'un des vôtres, lord Bertrand Russell, qui disait : « Une conviction mène la vie anglaise depuis 1688 : c'est que bienveillance et tolérance valent toutes les croyances du monde. » Et il ajoutait : « Façon de voir que nous n'appliquons, c'est vrai, ni aux autres nations ni aux races assujetties. »
Nous communiqueriez-vous, à usage européen interne, bienveillance et tolérance, c'est-à-dire pure civilisation en somme, ce serait déjà un grand bienfait.
Si nous ne sommes pas tellement doués de ce côté-là, c'est, voyez-vous, encore un tour de Descartes. A un enfant français indocile, que dit-on ? « Sois raisonnable. » Pendant que l'Américain entend : « Be a good boy », et l'Anglais : « Please behave. » Nous exaltons la logique ; les Américains la morale ; vous, la conduite.
Le résultat est là. To behave, « se tenir », ce qui n'exclut pas, chez vous, la fantaisie et le non-conformisme, se tenir implique le souci permanent de l'autre, l'indéfectible courtoisie avec ce que cela suppose de tension nerveuse, le contrôle de sa voix, de ses gestes, de ses paroles, de soi, en un mot. Les relations purement privées en sont, parfois, comme guindées, faute de spontanéité. Mais les relations de citoyen à citoyen, le savoir-vivre-ensemble, se situent dans un climat inconnu chez nous. En un mot, vous croyez qu'il existe un intérêt collectif des Anglais et qu'il va du respect des feux rouges à de beaucoup plus grands sacrifices. Vous constatez que le mouvement dans l'ordre régnant par consentement mutuel est aussi fécond et plus agréable à vivre que le mouvement dans le désordre. Votre passé historique en porte témoignage.
Serez-vous contagieux ? Attraperons-nous la croyance dans un intérêt collectif des Européens en même temps que nous serons atteints de tolérance aux fantaisies personnelles des individus, quand elles ne font tort à personne ? Ou bien est-ce vous qui serez contaminés par les « continentaux » ?
Chers Anglais. Permettez-nous d'espérer que nous pouvons, encore une fois, compter sur vous.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique européenne