Edith et les complots

Ah, ce n'est pas une petite nature, Mme Cresson! On lui doit au moins cet hommage
On a cru qu'il allait exploser. Il hurlait : «Tout cela est ridicule! Ubuesque!» Il vociférait contre le journaliste du «Monde» qui l'interrogeait, avec d'autres, au «Grand Jury», il hurlait à la manipulation. En cause : la fameuse lettre de Jacques Chirac faisant apparaître, en 1993, l'emploi fictif d'une employée municipale. Quand il crie comme ça, Philippe Séguin, on n'a pas vraiment envie de lui faire confiance. Edith Cresson est une personne pittoresque. A peine Premier ministre, en 1991, elle déclare que les Japonais sont des fourmis, les Anglais tous pédérastes, et que la Bourse, elle n'en a rien à cirer. A Matignon, elle se laisse appeler «cocotte» par son conseiller principal sous les yeux d'un groupe d'agriculteurs médusés. Tout cela, qu'on peut trouver sympathique, s'accompagne malheureusement d'une gestion fantaisiste de son portefeuille. François Mitterrand est obligé de s'en séparer. Elle crie au complot. Commissaire à Bruxelles, elle fait l'unanimité contre elle par son «arrogance française», gère avec négligence son secteur, embauche son dentiste pour remplir une fonction à laquelle rien ne semble le destiner. Le Parlement européen se rebiffe. Elle refuse de démissionner. Toute la Commission s'y oblige. La crise est ouverte. Que fait Edith Cresson? Elle va le front haut, et crie au complot sur toutes les ondes qui lui sont proposées. Ah, ce n'est pas une petite nature, Mme Cresson! On lui doit au moins cet hommage. Une autre forte femme, Nicole Notat, a commencé sobrement la crise de Bruxelles sur LCI en insistant sur le fait qu'il faut, à l'avenir, prendre garde aux prérogatives. Ce n'est pas le Parlement, selon elle, c'est la Commission qui doit être le moteur de l'Europe. En l'écoutant parler, dans cette langue précise qui est la sienne, du tournant de la CGT, du progrès des 35 heures, de l'avenir des retraites, on pensait à cette phrase que rabâche en ce moment une publicité: «Je suis ouvert à toutes les idées à condition que l'on m'apporte des solutions et pas des problèmes.» La longue soirée d'Arte sur les horreurs de la guerre ? il y a 45 conflits en ce moment ? n'était pas précisément roborative mais pleine d'informations. J'ignorais pour ma part qu'il y eût 350000 Albanais en Allemagne et 100000 en Suisse, tous pour l'UCK, qui versent chacun 3% de leur revenu aux indépendantistes kosovars. Comment a-t-on pu laisser pendant dix ans le Kosovo réclamer pacifiquement son autonomie sans entendre les leçons de l'histoire? Un peuple qui veut sa patrie finit toujours par l'obtenir, fût-ce au prix de beaucoup de sang. Dans la même émission, une Algérie inattendue. L'Algérie du pétrole, des investisseurs étrangers, des entrepreneurs. De temps en temps, les intégristes font sauter leurs installations. Ils reconstruisent. Le pouvoir est entre les mains des militaires, les dénationalisations font couler l'argent, la corruption est la première gangrène du pays avec l'intégrisme. François Pinault a racheté Yves Saint Laurent. 6 milliards. Il y aura toujours des Pinault. Mais aurons-nous toujours des Saint Laurent? Les milliards sont plus nombreux en France, aujourd'hui, que les grands artistes. Le jeune Israélien auquel Saint Laurent a confié le secteur du prêt-à-porter, Alber Elbaz, a eu une bonne réplique quand on lui a demandé sur LCI s'il ferait des robes «sexy». «Non, a-t-il dit. Je veux que les femmes soient séduisantes. Quand elles sont séduisantes, elles commandent. Quand elles sont sexy, ce sont les hommes qui commandent.» Portrait de Jean Anouilh dans «Un siècle d'écrivains». L'auteur tant adulé après avoir été un pauvre hère, que Louis Jouvet appelait cruellement «le miteux», n'y était pas vraiment. Peut-être parce qu'il avait au fond peu d'existence, comme si toute sa substance était dans son théâtre. C'était un anarchiste de droite qui avait une vision noire de l'humanité. Il a enchanté, il a fait rire, il a fait pleurer, il a su parler d'amour? Il n'est pas exclu qu'on le tienne un jour pour un grand classique du théâtre français.F. G.

Jeudi, mars 25, 1999
Le Nouvel Observateur