Sur le reclassement des professeurs de l'enseignement secondaire. Prétend qu'avec cette réforme « il n'y aura plus en France dans vingt ans, un seul professeur, un seul magistrat, un seul médecin, un seul officier, un seul diplomate.
Je ne veux dire du mal de personne. D'ailleurs à qui faudrait-il s'en prendre ? Lorsque les Français sont mécontents, ils disent :
— ON se moque de nous.
Alors, c'est à ON que j'adresse d'abord l'expression de mon admiration.
Grâce au contreprojet que M. ON a établi avec l'aide du ministre des Finances, pour le reclassement des professeurs de l'enseignement secondaire, ON a rendu un inestimable service aux 21.150 candidats au bachot qui attendent la fin de la grève pour savoir s'ils sont, oui ou non, admissibles à l'oral.
Jusque-là, ces enfants se tourmentaient chaque année à la perspective de n'être pas reçus.
Maintenant, ils sont tranquilles : ça n'a aucune importance
Vous avez, cher ON, avec une grâce dont on sent de plus en plus qu'elle n'est pas étudiée, refermé un peu plus votre éventail. Je veux parler de l'éventail des salaires. Depuis qu'un professeur agrégé gagne environ quatre fois autant qu'un balayeur, aucun jeune homme n'hésite plus : s'il ne préfère pas encore être balayeur, il sait du moins qu'il ne veut pas être agrégé. Pas plus d'ailleurs qu'ingénieur, juge d'instruction ou auditeur, au Conseil d Etat, ce qui va chercher dans les 35.000 francs par mois. Alors, à quoi bon le bachot ?
Si papa se fâche parce qu'il a encore des traditions, ses enfants lui expliqueront gentiment que, quitte à manger des briques, ils les préfèrent au beurre — le beurre étant devenu en France le symbole d'un luxe effréné.
On dit d'un homme : « Il a du beurre à son petit déjeuner... » comme on disait autrefois : « Il mange du caviar à tous les repas. »
Or, pour exercer l'une de ces professions de rêve où l'on mange du beurre au petit déjeuner, on se demande vraiment à quoi servirait de passer son bachot et de savoir disserter avec compétence sur le drame romantique, le roman moderne ou cette pensée de Georges Duhamel, troisième sujet proposé cette année aux candidats de première partie :
'' Ne t'imagine pas que les œuvres du poète sont destinées à distraire tes loisirs. Il a une mission plus haute, plus belle : celle de te mettre en possession de ton bien.''
Le fait est que, si les membres de l'enseignement avaient compté sur les poètes pour les mettre en possession de leurs biens, ils ne seraient évidemment pas en grève. Mais, poètes eux-mêmes, ils ont compté sur l'Etat. Ce qui prouve qu'on peut être professeur et avoir encore beaucoup de choses à apprendre.
Je vous disais, cher ON, qu'au point dé vue de l'homme qui veut voir la vie beurrée, il n'y a pas de sottes gens, mais seulement de sots métiers, et que si les élèves les moins attentifs ont néanmoins retenu la leçon que leur administre l'administration, il n'y aura plus en France, dans vingt ans, un seul professeur, un seul magistrat, un seul
médecin, un seul officier, un seul diplomate. D'écrivains non plus ! Oui les lirait ?
Ceux qui sont en bas de cet éventail que vous agitez chaque fois que ça chauffe connaîtront alors peutêtre la satisfaction de constater que, si ça va mal pour eux, ça ne va pas mieux pour les autres-
A bas l'injustice et vive l'égalité ! Que tout le monde soit mal payé ! Puisque les pauvres ne peuvent pas être riches, qu'au moins les riches soient pauvres !
Quand un Américain lit dans le journal que M. Louis B. Mayer a gagné cette année 502.571 dollars, il est fier et se dit : « Un jour, peutêtre, à force de travail, c'est moi qui les gagnerai. » En attendant, il conçoit de l'admiration pour M. Louis B. Mayer et pour tous ceux dont les hauts salaires sont officiellement publiés avec exactitude et régularité.
Avant eux, un gars qui s'y connaissait, Guizot, disait aux Français : « Enrichissezvous... »
Maintenant, il paraît que c'est honteux.
Honteux ou pas, c'est tout de même pour de l'argent que les travailleurs travaillent, de l'U.R.S.S. au Guatémala.
Alors, cher ON, puisque vous ne payez pas, ne vous étonnez pas si vous êtes de plus en plus mal servi.
L'ennui est qu'en français, ON se prononce aussi NOUS. Et que, en définitive, c'est nous qui sommes mal servis.
S'il y a un futur Pasteur parmi nos bacheliers en souffrance, gageons qu'il doit avoir furieusement envie de se faire crémier... Et peutêtre que, dans vingt ans, lorsqu'on voudra à l'étranger citer un grand Français, il ne restera plus le choix qu'entre un couturier et une vedette.