elle ne se prenait pas pour Anne Sinclair. Elle nous manquera
Il faut saluer Anne Sinclair. Elle a réussi sa sortie. Sans doute la reverra-t-on dans d'autres fonctions, d'autres émissions, mais elle a renoncé de plein gré à la tribune politique la plus prestigieuse de la télévision, par pure rigueur, parce que son mari, Dominique Strauss-Kahn, est l'un des poids lourds du nouveau gouvernement. Personne n'a été pendant treize ans plus sollicité, plus courtisé, soumis à plus de pressions dans l'espoir ? voire l'exigence ? de se retrouver sous son regard bleu parmi les élus de «7sur7». Une sorte de banc d'honneur, il fallait y passer. Elle a su résister, composant rarement, objective toujours. Munie d'une garde-robe ébouriffante, elle avait un style, un ton, une maîtrise adoucie par son charmant visage. Surtout, jamais elle n'a été vaine de son pouvoir. Elle ne se prenait pas pour Anne Sinclair. Bref, c'est quelqu'un de très bien. Le dimanche, à 7heures du soir, elle nous manquera. Elle a fait son dernier «7sur7» avec Philippe Séguin. C'était un gros morceau, sans jeu de mots. Depuis quelques semaines, on ne sait plus très bien où il est. Avec Madelin, avec Juppé, oui, non, il veut sa place à la tête du RPR, il la veut furieusement mais il feint le détachement, le sacrifice de sa personne à la cause, celle de la recomposition de la droite. Curieusement, il paraissait insincère, drapé dans la langue de bois au lieu que des flammes lui sortent de la bouche comme cela lui arrive quelquefois, et c'est alors qu'il est bon. «Il faut protéger le président de la République», dit-il soudain, solennel. Mais qui donc attaque le président de la République? On attendait de la force, on eut du sirop. Dominique Wolton, sociologue, chercheur au CNRS, est l'anti-Bourdieu. Tout ce que l'un reproche, avec la véhémence que l'on sait, à la télévision ? de tuer la démocratie ? Wolton le conteste. Pour lui, la télévision est au contraire l'outil démocratique majeur (Paris Première). Que dit-il? Des choses inhabituelles. D'abord, que les spectateurs sont intelligents. Il ne faut pas confondre l'offre et la demande. Ils regardent ce qu'on leur offre, ce n'est pas ce qu'ils demandent. Ensuite, la télévision est, dans l'ordre de la communication, la même chose que le suffrage universel. Elle concerne tout le monde. Ensuite, elle est une figure du lien social. Tous les matins, on bavarde avec son voisin de ce que l'on a vu la veille. Donc, il faut la défendre. Ce qui n'exclut pas de garder son esprit critique. Mais une réalité est incontournable : la télévision incarne la société individualiste de masse. C'est cette donne objective qui est à la source du caractère démocratique de la télévision. Que lui manque-t-il? Une grande ambition, dit Dominique Wolton. La dérive industrielle et commerciale est désastreuse, mais il peut y avoir une véritable politique culturelle de la télévision. Il faut se battre, dit-il. Au moment où déferlent les chaînes thématiques, n'est-il pas trop tard pour se battre? Il le reconnaît. Il ne faudrait pas, dit-il, que l'on se dirige vers une télévision généraliste bas de gamme d'un côté et de l'autre des chaînes thématiques payantes de qualité. Chacun sa télévision, les vaches seraient bien gardées. Le contraire de la télévision démocratique pour spectateurs intelligents que Dominique Wolton préconise avec une foi que l'on voudrait voir récompensée. TF1 a-t-elle, oui ou non, joué Balladur contre Chirac avant 1995? C'est ce qui ressort de la volumineuse enquête menée par Pierre Péan et Christophe Nick sur le pouvoir de la chaîne, enquête sur laquelle «Arrêt sur images» s'est penché. Ce pouvoir est subtil. On le retrouve à l'œuvre à propos de Michel Noir, dont Francis Bouygues avait décidé qu'il ferait un bon président de la République. En fait, on le retrouve partout, avec des moyens gigantesques, des ambitions considérables, des choix parfois malheureux, alors on se retrouve profil bas. Comme avec Chirac tenu avant 1995 pour un homme fini. Entrant dans tous les méandres du pouvoir de TF1 et de ses manifestations, ce gros livre laisse songeur... et vaguement inquiet. De quoi ne sont-ils pas capables? Vingt ans, un talent fou, beau comme un flèche, un petit génie a surgi sur le stade de Roland-Garros, le Brésilien Gustavo Kuerten. Et le tournois, assez ennuyeux, s'est réveillé dans la stupeur. Un artiste est né. F. G.
Jeudi, juin 12, 1997
Le Nouvel Observateur