Des champions en question

Difficile à vivre, pour nos Bleus, cette gloire du Mondial? Les retraités et les étudiants du jeu de Julien Lepers n'ont pas, eux, de ces angoisses
Daniel Cohn-Bendit est un agitateur de génie. On ne reviendra pas sur les preuves qu'il en a données. Ce joyeux zèbre bicolore, mi-allemand mi-français, européen en somme, qui a raté son entrée dans le cabinet Schröder, où il convoitait les Affaires étrangères, fait irruption dans notre ménagerie politique pour prendre la tête de liste verte aux prochaines élections européennes. S'il fait un score supérieur à celui des communistes, il pourra allègrement mettre le bordel dans la gauche plurielle. On verra. Ce qui chagrine, c'est de le retrouver en rivalité avec Dominique Voynet. Voilà une femme remarquable, qui a su naviguer entre les écueils, au gouvernement et dans son parti, avec des convictions incontestables. Lui manque une grande gueule. En allant chercher Cohn-Bendit pour battre les estrades, son parti affiche les limites du féminisme dont il s'honore. Mireille Dumas sait faire. En allant interroger longuement chacun des Bleus champions du monde, elle en a extrait une matière humaine éloignée des propos convenus. Fierté bien sûr, mais angoisse à l'idée que, du sommet, on ne peut que retomber, appréhension du lendemain, on vieillit tôt dans le métier. Adolescence austère dédiée à l'entraînement, mariage précoce, vie familiale intense, cocon dans lequel ils se protègent de faire la fête, interdite à un sportif de haut niveau. Bonheur d'avoir une maison à soi, la première chose qu'ils achètent quand l'argent leur arrive, un argent qu'ils refusent tous de chiffrer :«On a un pouvoir d'achat très important.» Mélancolie de l'exil quand ils jouent dans un club étranger, mais on peut gagner deux ou trois fois plus. Embarras devant l'hystérie de la foule? Quelque chose leur est tombé sur la tête. Le croira-t-on? C'est difficile à vivre. Michel Houellebecq («les Particules élémentaires») a raté le Goncourt qu'il se croyait acquis. Il en est dépité. Cela se conçoit. Il l'a dit sur LCI. Rien que de normal. Mais, cigarette à la bouche, il a surtout dit du mal de la lauréate, Paule Constant, ou plutôt de son roman primé, avec une hargne d'aigri. Si son propre roman est autobiographique, on comprend que tant de misère sexuelle lui ait gâté le caractère. Mais ce n'était pas beau à entendre? «Questions pour un champion» a fêté ses dix ans de succès, avec l'aimable collaboration des demoiselles du Lido. C'est le meilleur jeu de la télévision. Surtout, il offre un reflet des Français de tout le territoire. Femmes et hommes de tous âges, ils viennent le plus souvent d'une petite ville dont ils parlent avec amour, tous les métiers sont représentés, avec une prédominance cependant d'enseignants, ils sont généralement nuls sur les questions de musique, de peinture, mais se livrent à des joutes sur l'histoire, la mythologie ou les formules chimiques. Le retraité ou l'étudiant sont également émus d'être à la télé. Et puis il y a le bagout de cet animateur inusable, Julien Lepers, qui attaque chaque soir l'émission comme si c'était la première, qui demande : «Où habitez-vous? C'est près de? Ah! Quelle belle ville! Quelle belle région!» C'est un consensuel, Julien Lepers. Il admire tout. En cette soirée anniversaire qui opposait dix joueurs, c'est un jeune professeur de Dijon, sauf erreur, qui triompha. Son père est algérien. Cela avait un petit parfum de Coupe du Monde. Si France 2, à la dérive, continue de reculer le début de «Bouillon de culture», l'émission commencera bientôt à 2 heures du matin. C'est une injure à ceux qui la regardent comme à ceux qui y participent. Soljenitsyne, qui publie deux ouvrages, l'un sur la Russie d'aujourd'hui, l'autre prolongeant ses Mémoires, méritait un traitement plus courtois. Ou bien trouve-t-on qu'il ne suscite plus la curiosité? En un sens, c'est vrai. Mais la façon dont il raconte ses premiers contacts avec l'Occident fait mieux comprendre pourquoi il est devenu un mal-aimé de la presse, objet constant de calomnies. Il n'en a rien oublié. Mais il dit, raide : «J'ai le sentiment d'avoir accompli mon travail, mais mes tentatives d'influer sur les événements n'ont pas été couronnées de succès.» Un grand bonhomme, quand même, respectable entre tous. F. G.

Jeudi, novembre 19, 1998
Le Nouvel Observateur