Réflexions sur le progrès, à partir de l'annonce du Salon de l'auto
Sur les Champs-Élysées, deux hommes parlaient :
— Comment la trouvez-vous ?
— Heu... Je n'aime pas tellement son profil.
— Peut-être... Mais elle est souple, nerveuse !... Et puis facile à entretenir, elle ne dépense rien, mon vieux !
Renseignements pris, il ne s'agissait pas d'une belle blonde, mais d'une des voitures exposées au Salon de l'auto, qui ouvre cette semaine.
C'est une invention diabolique, ce Salon. On a une auto, on est bien content, on se donne beaucoup de mal pour la payer et pour comprendre à quoi servent tous ses boutons. Et puis, un an après, arrive le Salon... et c'est d'une autre que l'on meurt d'envie, parce qu'elle a quelques boutons de plus ou de moins, tandis que l'ancienne perd soudain la moitié de son charme (et de sa valeur).
Imaginez une seconde ce qui se passerait s'il y avait, aussi, chaque année, un Salon de l'homme ou de la femme, où seraient exposés de nouveaux modèles.
On y trouverait « le mari-aux-yeux-bleus-qui-aime- faire-la-vaisselle », « l'homme-fidèle-qui-n'oublie-jamais- d'éteindre-la-lumière » , « la femme-toujours-mince-qui-ne-sait-pas-mentir », « l'enfant-sans-rhume-qui-ne-joue-jamais-avec-une-trompette... », etc.
Dégoûté de son compagnon, de sa compagne ou de sa progéniture, chaque visiteur tenterait aussitôt de s'acheter un modèle plus récent...
Mais, dans sa sagesse, le Créateur n'a pas voulu que les humains s'améliorent.
L'attrait du modèle perfectionné est donc plus ou moins réservé aux voitures automobiles, aux appareils réfrigérateurs, aux armes automatiques et à quelques autres manifestations de ce qu'on appelle poétiquement le progrès, comme en témoignent particulièrement deux petite informations diffusées cette semaine.
Jusqu'à présent, par exemple, les âmes pieuses rêvaient (le pouvoir entreprendre un voyage jusqu'au Vatican pour y recevoir la bénédiction du pape: Eh bien ! c'est affreusement démodé. Maintenant, on achète un disque. Des commerçants avisés ont eu, en effet, l'idée d'enregistrer la voix du saint-père et de tirer de cet enregistrement des millions d'exemplaires qu'ils mettent en vente pour l'année sainte dans les boutiques de Rome, munis de cette étiquette : « Le pape vous donne sa bénédiction de sa propre voix. » Le progrès !
Mais il y a quelques jours, une Américaine de soixante-six ans, Mme Beauchamp, a provoqué un rassemblement dans les rues de Londres en rajeunissant brusquement de quarante ans sous les yeux des badauds et de la statue de Nelson. Elle avait simplement posé sur son visage un masque de caoutchouc parfaitement adhérent.
Et bientôt on verra peut-être de ravissantes jeunesses déclarer en minaudant :
— J'aurai 84 ans aux prunes...
Et tant pis si, de près, elles sentent un peu le caoutchouc. Le progrès !
Pour ceux que le goût du progrès conduirait cette semaine au Salon de l'auto et au péché d'envie, voici la petite histoire qui court Paris. Devant une jolie voiture toute neuve, le vendeur fait l'article : « Regardez, monsieur... Regardez ce turbo-compresseur, regardez ces pistons, regardez cette merveille... Mais avec ça, monsieur, vous quittez Paris à dix heures, et à midi vous êtes à Lyon ! »
Et l'éventuel acheteur répond, perplexe :
— Mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse à midi à Lyon ? Je n'y connais personne !
Mardi, octobre 29, 2013
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