...en passant par Sarkozy, Rocard, Bill Evans et Artur London. Belle affiche pour une semaine décevante
C'était une bonne idée de confronter Nicolas Sarkozy à Michel Rocard sur le thème brûlant de l'emploi. On ne peut imaginer deux hommes plus différents, l'un piaffant d'une ambition qu'il ne dissimule pas, l'autre revenu de bien des choses mais pas de ses convictions. L'un croyant que si l'on est énergique, travailleur, déterminé, on triomphe forcément de l'adversité, l'autre cherchant le salut dans de nouvelles règles de fonctionnement du travail; l'un prônant la précarité qu'il habille du joli nom de flexibilité, l'autre préconisant la réduction du temps de travail sans réduction de salaire. Au fond, ils n'avaient rien à se dire. Michel Rocard avait beau jeu de faire remarquer à Sarkozy que les années passent sans que la majorité à laquelle il appartient ait apporté la moindre solution au chômage, au contraire. Sarkozy avait beau jeu de faire remarquer qu'il faut s'accrocher pour comprendre le mécanisme imaginé par Michel Rocard. C'est sa faiblesse, en effet. Il est difficile à saisir et Rocard est incapable de l'expliquer clairement. Sauf erreur grossière de ma part, il s'agit de baisser massivement les charges sociales jusqu'à 32 heures et d'affecter leur montant à la création d'emplois devenue nécessaire du fait même de la réduction du temps de travail. En tout cas, le système marche déjà dans une quinzaine d'entreprises et non des moindres. Mais Sarkozy le repousse du pied. Lui ne connaît que deux remèdes au chômage : la baisse des impôts et la flexibilité, c'est-à-dire, en gros, la méthode américaine, bien qu'il se défende de la comparaison. Assez de règles, dit-il, assez de contraintes. La liberté! Quelle liberté, répond Rocard, celle du renard dans le poulailler? Non, ils n'avaient décidément rien à se dire tant leurs projets profonds divergent. Ils ne sont d'accord que sur un point : il n'y a pas de fatalité du chômage. On s'en sortira. Mais dans quel état! L'alacrité juvénile de Nicolas Sarkozy était sympathique, elle n'a pas suffi à emporter mon adhésion. Vous, je ne sais pas. Arte m'a mise en colère. Quoi! on fait une série sur la recherche du sens de la vie, et qu'est-ce qu'on nous inflige? Des élucubrations alambiquées sur la mort, document allemand qui pesait dix tonnes. Je ne sais si les Allemands ont apprécié, pour nous c'était à la fois sinistre et indigeste. «Je dois avouer que je suis un peu déçu » , dit l'un des intervenants. Et nous donc! A «Droit d'auteurs», on a surtout bavardé philosophie. C'est très chic, la philosophie, mais ce n'est pas télégénique. Sylviane Agacinski, charmante, a fait effort pour parler clairement de Kant, de Kierkegaard, de Descartes. Ce fut rude néanmoins. Il fut question aussi de la folie, à laquelle M. Thuillier, psychiatre, a consacré un gros livre. Enfin Axel Kahn parla des derniers travaux sur les gènes. On va avoir les moyens de changer la destinée de l'homme. Mais qui va-t-on soigner? La société devra faire des choix. Perspective angoissante. Tout cela n'était pas gai... Même Charles Pasqua fut atone, sans faconde cette fois, à «7 sur 7». Heureusement qu'on a «Urgences», le dimanche soir, pour passer un bon moment. Soyons justes : il y en eut un autre. Un film français consacré à Bill Evans, le pianiste de jazz disparu il y a seize ans, drogué à mort. Un merveilleux artiste. Brio, invention, lyrisme, infinie mélancolie, ce romantique américain émeut comme Chopin (Arte). Enfin, renonçant, pour une semaine, à décortiquer la télévision, «Arrêt sur images» a monté un débat autour d'Artur London et de «l'Aveu». On sait qu'un historien tchèque, Bartocek, vient de soulever une tempête en affirmant dans un livre récent que le célèbre supplicié était un traître qui n'a cessé de mentir. En face de Bartocek, Gilles Perrault contrait l'une après l'autre ses affirmations, en particulier la validité d'une lettre de Jacques Duclos, et aussi quelques autres détails, «risibles» selon lui. A ses yeux, London est ici victime d'une pure entreprise de dénigrement. Il s'agit de montrer le militant communiste aveuglé par sa foi jusqu'à en devenir lâche et pervers. Deux clans d'historiens se sont formés autour de cette affaire, où l'on se gardera de trancher. Le sûr est que London ne pouvait avoir de meilleur avocat que Perrault. Il y va de l'honneur d'un homme. Ce n'est pas rien. F. G.
Jeudi, décembre 12, 1996
Le Nouvel Observateur