De Ferrat à Strauss-Kahn

Communisme rêvé ou socialisme du possible? C'est le premier qui fait le plus? d'audience
On ne sait pas exactement combien d'hommes et de femmes couchent dans la rue par grand froid, à Paris et ailleurs. On sait qu'à Marseille 282 personnes ont été amenées d'une main ferme dans les centres de secours. Ici, nous avons vu, sur la superbe place Vendôme, un réfractaire refusant de suivre le commandant de gendarmerie qui tentait avec intelligence et douceur de le convaincre. En vain. Trois cent quatre-vingt-dix appels sont arrivés au Samu social pour signaler la présence de tel ou tel SDF dans tel ou tel quartier parisien. Ce n'est pas parce que nous avons tous du mal à les supporter, puant la misère, qu'il faut voler aux réfractaires leur mort. Ils ne sont pas idiots, ils savent bien que dormir dehors par ? 10°C, cela ne pardonne pas dans l'état précaire où ils se trouvent. Quand ils refusent d'être ramassés, c'est souvent parce qu'ils sont au bout d'eux-mêmes et n'attendent plus que l'ultime refuge. De quel droit le leur dérober? Jean Ferrat, l'autre dimanche, chez Michel Drucker? Pourquoi pas? Cela me plaît plutôt, les chansons d'Aragon, le communisme version rêvée, le cuirassé «Potemkine», Jean Vilar. C'est ma jeunesse. Il y aura combien de spectateurs pour regarder cela dans l'après-midi? Il y en a eu quatre millions et demi. L'interprétation de cet Audimat qui a perturbé tous les chevaliers de la secte est libre. Mais avant que Mlle Jenifer Academy en soit là, il passera de l'eau sous le pont de l'Alma. Jean Ferrat, qui a 72 ans, ne se produit quasiment plus en public bien que sa voix soit toujours belle et sa crinière d'un blanc photogénique. Mais manifestement il n'est pas oublié. S'il n'a jamais caché son attachement au communisme, il veut préciser qu'il n'a jamais eu la carte du Parti et qu'il n'est jamais allé chanter en URSS quand c'était la mode. Il n'a pas refusé mais personne n'y tenait, lui non plus. Il préfère le dire, ainsi tout est clair? «Maintenant, le communisme n'existe plus?», dit quelqu'un. Il le reprend doucement : «L'idée du communisme est toujours là.» N'en parlons plus, la vie, c'est demain. C'est vers demain qu'est tourné Dominique Strauss-Kahn, invité de «100 Minutes pour convaincre» (France 2). Il ne renie ni le socialisme ni Jospin. Ce n'est pas le genre du monsieur. «Nous avons gagné ensemble, nous avons gouverné ensemble, nous avons perdu ensemble, si les Français le veulent, nous pouvons encore servir ensemble?» C'était bien dit. Au postier trotskiste qui l'avait interpellé, il dit tranquillement : «Le socialisme radical, c'est irréaliste. Mon socialisme à moi est moins radical que le vôtre, c'est celui du possible. Cela ne veut pas dire que je sois moins radical que vous.» Il reconnaît, avec humilité, deux ou trois erreurs mais dénonce vivement celles de la politique économique conduite par Raffarin. Le porte-parole du Premier ministre, M. Copé, qui n'est pas nul, lui reproche de tirer à boulets rouges sur le gouvernement. DSK répond : «Ce ne sont que des boulettes. Quand je tirerai à boulets rouges, vous vous en rendrez compte.» Dans l'assistance, on rit. «Rendez-vous dans six ou huit mois.» Drôle de PS où l'on ne sait pas ce qui est le plus vif : le désir de retrouver le chemin du pouvoir ou le désir de l'interdire à DSK et, bien sûr, à Fabius. Ni l'un ni l'autre ne vont avoir la vie facile. C'est le métier, le moment d'une carrière politique ? ils l'ont tous connu ? où l'on court à travers la France, une brosse à dents et un rasoir dans sa serviette, pour rendre visite aux fédérations, consulter, prendre tous les pouls, rassurer ou stimuler. Une fois, François Mitterrand, encore député, a visité toutes les fédérations socialistes, une à une, en quelques semaines. Il faut aimer. Lui, il aimait. Autres combats, autres combattants, autres souffrances, pourquoi des jeunes hommes prennent-ils le risque de se faire durement casser la gueule et parfois le cerveau par boxeur plus fort qu'eux? Non, ce n'est pas l'argent qui les fait courir. L'un, Frank Nicotra, qui n'a concédé qu'une défaite en 38 rencontres et n'a boxé que pour faire plaisir à son père, s'est mué en cinéaste pour tenter de comprendre et de faire comprendre le vertige de la boxe. Dans «la Vie en rose» (France 2), il a réuni huit champions d'Europe ou du monde pour qu'ils disent la peur qui, une fois enjambées les cordes du ring, donne envie de tuer l'adversaire. Cette poignée d'hommes a beaucoup parlé, ils avaient tous la bouche pleine de «papa» (pas de «maman»), le véritable auteur du rêve qu'ils ont réalisé, tout cousus de blessures. Mais chaque fois qu'ils ont gagné, ça a été une fierté inoubliable. /FONT>F. G.

Jeudi, janvier 16, 2003
Le Nouvel Observateur