Comment on devient collabo...

La tombe de la droite libérale est creusée par ses traîtres. Qui pourrait s'en réjouir?
Les lâches sont toujours abjects. Il y a des nuances dans la lâcheté. Celui qui sauve ainsi sa vie, comment le juger? Mais celui qui sauve son fauteuil de président de région, comment l'absoudre? Est-elle si bien rémunérée, cette fonction? Est-il si grisant, ce pouvoir? Sont-elles si juteuses, ces prébendes? C'est sans doute un peu plus compliqué. Ces RPR et surtout ces UDF en rupture de ban avec leur parti ont anticipé. Ils ont anticipé le moment, qu'ils voient venir, où le Front national deviendra dangereux autrement qu'en paroles, le moment où commencera la chasse à l'homme, où on brûlera les livres, où on cassera les vitrines des magasins juifs et où il n'y aura plus de sécurité pour aucun de ses adversaires. Déjà certains conseillers ont fait avant les élections l'objet de menaces, de chantages... Et voilà comment on devient collabo-rationniste sans l'avoir vraiment voulu. Parce qu'on a peur, parce qu'on est lâche. Tous les pays qui ont souffert sous des régimes autoritaires ont connu cela, ces prolégomènes, ces ralliements d'anticipation à ce que l'on croit être la force de demain. On prend ses précautions. Il fallait voir la tête de Charles Millon, vendredi, il était vert, et Jacques Blanc, et Jean-Pierre Soisson et quelques autres. Et Madelin qui s'est précipité sur leurs talons! L'UDF a vécu, le RPR vacille. La tombe de la droite libérale est creusée par ses traîtres, voir le résultat des cantonales. Il faudrait être insane pour s'en réjouir. Longue «Marche du siècle» sur l'ecstasy, qui laissait un malaise. Quoi qu'on en ait dit ? et il y avait d'excellents intervenants ? on n'avait ensuite qu'une envie, c'est de l'essayer. A mon âge, ça ne risque pas. Mais on a ouvert la boîte du diable. Les soirées thématiques d'Arte sont trop souvent des fourre-tout. C'est n'importe quoi. Miracle, «De main en main», ensemble conçu par Eliane Victor, fut une réalisation pleine d'invention, originale, surréaliste au vrai sens du terme, où une forêt de mains jouèrent sur des textes subtils de Jean-Paul Carrière, dans un spectacle drôle de Jérôme Deschamps, dans un film troublant d'Eric Rochant. Ce fut ébouriffant. Un plaisir. En revanche, la soirée thématique consacrée à Internet laissa consterné. Quand j'entends : «La baisse des transferts fiscaux de l'opérateur monopolistique historique, etc.» , je craque. Sur un tel sujet, où il y a tant de curiosité et d'ignorance, d'angoisse aussi, comment peut-on se fourvoyer à ce point? Beau numéro d'«Un siècle d'écrivains» sur Vladimir Maïakovski le flamboyant, poète officiel de l'époque stalinienne. Il a été immensément célèbre. Des rues portaient son nom et même un tank, une station de métro. Il avait un talent fou ? «Le réverbère enlève voluptueu-sement son bas noir à la rue...» ? il voulait tout casser. Toutes les cultures qui l'avaient précédé. Il fait grand tapage, écrit une pièce qui est interdite. Lénine le condamne à n'être édité que deux fois par an. Etrangement, Staline sera plus ouvert à ce dissident à l'envers qui veut davantage de révolution. Il s'éprend de Lily Brik (la sœur d'Elsa Triolet) qui le domine complètement, le fait vivre sous le même toit que son mari, le chasse parce qu'il est jaloux. Comportement bourgeois. Péripéties, amours contrariées, échecs. En 1930, Maïakovski se tue d'un coup de revolver. Réalisée par Pavel Longuine, l'émission était de premier ordre. «Le Grand Forum» de Canal+, chaîne jeuniste, est inégal. Il y a une constante, la difficulté d'expression des jeunes participants. Philippe Gildas les mène rondement, en vain. Cete semaine, le sujet était important, la santé des jeunes. On sait qu'ils se suicident beaucoup, les garçons surtout. En général, on se suicide en France plus que dans tout autre pays. Quelle est la nature du mal-être de ces suicidants, peut-on le détecter à temps, qui les écoute, que fait l'école, quel rôle peut jouer le sport, c'était intéressant. Curieusement, au milieu du débat surgit l'éditorialiste maison qui se mit à faire l'éloge de l'abstentionnisme et à ironiser sur «ces messieurs de Sciences-Po qui ont inventé les régionales». De grosses sottises. Saisie au vol dans «Droit d'auteurs» cette phrase de Kafka : «Le livre est la hache qui sert à briser en nous la mer glacée.»F. G.

Jeudi, mars 26, 1998
Le Nouvel Observateur