Collabos mais pas trop...

elle y était
Le mot de la semaine, prononcé par Valéry Giscard d'Estaing en face de Pierre-Luc Séguillon : «Michel Poniatowski était votre ami, n'est-ce pas?» VGE: «En politique, le mot ami n'est pas crédible.» Un temps. «Il était mon frère.» L'homme de la semaine : Dominique Strauss-Kahn. Il n'est pas candidat, il ne fait pas la danse du ventre, il se permet une belle impertinence : écrire que le socialisme n'en est plus un et comment il peut et doit redevenir la force d'espoir et d'entraînement de la société française. L'intérêt puissant du livre qu'il publie chez Grasset, «la Flamme et la cendre», dont il a parlé près d'une heure sur LCI, c'est qu'il est constructif. Non seulement il ne jette pas le socialisme aux orties mais il dit «Voilà la direction qu'il faut prendre, voilà les actions qu'il faut mener», à partir d'une solide réflexion, d'un peu de rêve, de fortes connaissances historico-économiques mais aussi de l'expérience pratique d'un homme de gouvernement. De sorte que son langage tranche sur tous les langages convenus. Par exemple : «Si l'on identifie le socialisme au social, si l'on se limite à la redistribution, si ce n'est que l'Etat-providence, le socialisme est mort.» Quant à la mondialisation, attention : ce n'est pas le paradis et il faut tenir la puissance culturelle d'un seul à distance. Le trotskiste qui sommeille chez Edwy Plenel paraissait un peu secoué après ce tête-à-tête. L'imposture de la semaine était sur la Une, dans une émission de Julien Courbet. Pour attiser les peurs qui rôdent, l'insécurité qui règne au moins dans les esprits, on a montré un dernier méfait : le pavillon cambriolé, dévasté, mis à sac d'une pauvre dame anéantie. Images désolantes. Mais qui ont été tournées il y a deux ans. «Arrêt sur images» a tiré des archives la bande de la première diffusion. Le procédé de Courbet est indigne. Bertrand Tavernier n'a jamais eu la cote auprès des enfants de la Nouvelle Vague ? qui sont aujourd'hui grands-pères. On pouvait s'attendre que leurs relais dans la presse lui fassent sa fête à propos de «Laissez-passer», ce film sur le cinéma français pendant l'Occupation dont il a parlé sur plusieurs chaînes. De fait, ce n'est pas «le Dernier Métro», c'est trop long sans nécessité, et les noms de trop de personnages sont inconnus du public, c'est un handicap. Clouzot, à la rigueur? Ils ont tous travaillé pour la Continentale, la firme allemande installée à Paris, véritable empire d'un Dr Greven soutenu par Goering, qui a acheté les studios, les laboratoires, les salles, toutes les vedettes du moment. En l'absence des grands, Jean Renoir, René Clair, Julien Duvivier, qui ont filé aux Etats-Unis, il a fait débuter dans la réalisation leurs assistants, tel Jacques Becker, auquel il assortit les meilleurs scénaristes. Tournage obligé en vingt-huit jours, pellicule rationnée, résultats excellents. Collabos? Un peu, pas vraiment en ce sens que l'intelligent Dr Greven ne commandait aux auteurs français que du «divertissement», jamais de la propagande. On pouvait aussi travailler ailleurs qu'à la Continentale. Je le sais, j'y étais. «Les Visiteurs du soir», «Douce», «Pontcarral» ne sortent pas de l'usine allemande. Mais «Laissez-passer» est concentré sur le petit groupe qu'il décrit, où évolue «le» résistant de la maison, Jean Devaivre, tous les autres étant résignés à une situation lucrative sinon confortable parce que la guerre semble sans fin. Ainsi le délicieux Aurenche, dont le personnage est l'une des réussites du film. Nous avons beaucoup ri ensemble quand nous étions enfermés tous les après-midi par le producteur des films de Fernandel pour lui trouver des gags. Mais cela, c'était avant la guerre. C'est en écoutant Tavernier sur je ne sais quelle chaîne que j'ai cru le comprendre : Tavernier est un fou de cinéma, c'est sa patrie, son langage, sa passion. Il a voulu montrer, me semble-t-il, que même dans une situation extrême, celle de l'occupation allemande, le peuple du cinéma n'avait pas fourni beaucoup de héros, certes, mais beaucoup de talents. Des artistes, c'est ce que l'on attend, non? De tout le reste, après soixante ans, il est permis de les exonérer. F. G.

Jeudi, janvier 24, 2002
Le Nouvel Observateur