Deux nouvelles biographies sur Charles de Gaulle, de Robert Aron et François Mauriac, laisse le lecteur insatisfait.
Il y en avait vingt-trois, il y en aura vingt-cinq, chaque nouvel ouvrage consacré à Charles de Gaulle ajoutant ici, rabotant là, renseignant mieux, pour finir, sur l'auteur que sur le sujet.
Fascinant sujet pour qu'ils soient si nombreux à se vouloir son complément, et si rares à pouvoir le dominer.
Sans doute est-il trop tôt — ou trop tard. Trop tôt pour l'historien qui, dès lors qu'il vise l'objectivité, accumule les questions plutôt que les réponses : que restera-t-il de Charles de Gaulle, une absence ou une présence ? Laissera-t-il la trace d'un constructeur ou d'un démolisseur ? Quels seront les fruits de sa politique étrangère : Aussi fine que soit l'analyse de M. Robert Aron (et elle constitue la moitié de son ouvrage), elle débouche sur des points d'interrogation. Plus tard, les interprétations divergeront peut-être. Aujourd'hui, elles ne peuvent être que prématurées ou timides. Pour le reste, M. Robert Aron déclare honnêtement qu'il a rencontré quatre fois Charles de Gaulle, et qu'il trace son portrait à partir de ces « instantanés » : le portrait « d'un ensemble assez gêné et assurément très gênant », où l'énumération des traits médiocres balance celle des traits de génie.
Chez M. François Mauriac, en revanche, l'admiration prévaut et ne prétend pas à l'impartialité. On retiendra qu'il reproche essentiellement à Charles de Gaulle de ne pas préserver la jeunesse — et la vieillesse — du spectacle perturbateur, selon lui, qu'offrent, au cinéma, les dames trop déshabillées. Encore M. Mauriac se garde-t-il d'utiliser à cette occasion la pointe de sa plume : « Ah ! ce discours à la jeunesse que de Gaulle n'a jamais fait... ïfaais il sait pourquoi il ne l'a pas fait. »
Certes. Il sait tout. Et nous savons, nous, que lorsqu'il l'émousse dans le miel, la plume de M. Mauriac n'est pas à son meilleur.
Ce qui gêne, cependant, n'est point que cet ouvrage se veuille un long hommage où résonne l'écho du fameux « O grand roi, cesse de vaincre ou je cesse d'écrire ! »
Si M. Mauriac le sent ainsi, pourquoi se priverait-il de le dire ? Ce qui gêne, c'est d'abord que ce grand travailleur semble n'avoir pas travaillé. Deux cents pages de son « De Gaulle » sont composées d'extraits de discours entrecoupés de commentaires, eh quoi ! une explication de texte
quand on attendait « L'Odyssée » ?
Ce qui gêne, plus encore, c'est le soin que prend l'auteur de retenir sa verve. Or, par chance, il ne le peut.
De sorte que ses jugements n'apparaissent pas balancés, ni même nuancés, mais masqués.
Ainsi écrit-il dans son introduction : « De Gaulle nous propose une énigme... Il utilise ce que lui donne la conjoncture sociale sans porter de jugement, sans chercher à y rien changer. Ce n'est pas là-dessus qu'il a reçu pouvoir d'agir. Il lui appartient de s'en arranger, non de la modifier. »
A-t-on jamais rien écrit de plus désobligeant à l'égard d'un chef d'Etat tout-puissant ?
Et où est-il décrété qu'il n'a pas « reçu pouvoir d'agir là-dessus » ?
Si M. Robert Aron ne pose que des questions, M. François Mauriac ne trouve que des excuses. Aussi laissent-ils, l'un et l'autre, le lecteur insatisfait au bord de cet inconnu : Charles de Gaulle.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
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