Le plafond des études s'est beaucoup élevé mais le plancher ne s'élève pas. Et c'est dramatique
Cela se passe quelque part à la frontière du Kazakhstan dans les dernières années de l'Urss. Des ouvriers fabriquent là des armes atomiques pour l'usine Maiak. Près de l'usine passe une rivière où viennent se baigner les enfants. Ont été versés là pendant six ans les déchets radioactifs de l'usine. La rivière alimente vingt-quatre villages des environs. 105 000 personnes auraient été atteintes, selon le documentaire de Planète réalisé en 1994 par Stavomir Grunberg. Et alors? Alors rien. Leucémies, cancers et compagnie en Russie, qui voulez-vous intéresser avec ça? En revanche, quatre-vingt-dix minutes sur Canal+ ont été judicieusement consacrées à l'uranium appauvri dont les Américains auraient lesté leurs bombes pendant la guerre d'Irak. On ignore les effets de cet uranium très faiblement radioactif, effets insignifiants selon les uns, désastreux selon les autres. Il y a longtemps que la presse américaine retentit de polémiques à ce sujet, parce que beaucoup de combattants sont rentrés d'Irak malades. Malades pour cause d'uranium appauvri? Possible. Pas certain. Les preuves font défaut. Des Français sont-ils en danger? Non. Les militaires français ne se sont pas trouvés sur la partie du champ de bataille où ces armes perfides ont été utilisées. L'auteur de l'enquête, Martin Meissonnier, essaie manifestement d'être honnête, de ne pas servir la soupe à Saddam Hussein, sauf pendant une séquence douteuse. Il ne fustige pas les Américains comme il convient de le faire aujourd'hui dans les médias français, Américains caca. Mais il est troublé par les informations qu'il a recueillies, troublé. Sûr qu'il y a de quoi! Psychiatriser les enfants : le mot, déjà, fait mal. Quoi, si petits et déjà cassés, celui qui ne veut pas manger, celui qui ne veut pas parler, celui qui ne veut pas dormir. Un symptôme isolé, ce n'est pas inquiétant, mais plusieurs symptômes convergents, il faut agir vite , dit le professeur Rufo, très vite. Alors, on peut guérir. Il a une bonne tête, ce pédopsychiatre qui exerce à Marseille. Il a visiblement consacré sa vie aux enfants et aux adolescents perturbés. Un personnel passionné l'assiste. Chaque vie sauvée est une victoire sur l'ignominie ordinaire de la vie («Des racines et des ailes», France 3). Il y a trente ans, Christian Baudelot et Roger Establet, sociologues sauf erreur, lançaient une bombe intitulée «l'Ecole capitaliste en France». Mai-68 n'était pas loin. Baudelot est resté marxiste sur les bords, enfin ce qu'il faut pour ne pas mourir idiot, mais la réflexion des deux associés, réunis pour publier aujourd'hui «Avoir 30 ans en 1968 et en 1998», les conduit sur d'autres pistes. Baudelot en a longuement parlé sur LCI. Les changements, dit-il, sont profonds. Les enfants scolarisés sont beaucoup plus nombreux et le sont beaucoup plus longtemps. Les parents veulent de l'école, ils veulent du diplôme dont on pouvait très bien, autrefois, se passer. Mais ceux qui prolongent leurs études n'y sont pas toujours aptes. Ils devraient recevoir de bonne heure une préparation à une qualification qui leur convienne. Le plafond des études s'est beaucoup élevé en France. La formation supérieure ne marche pas mal. Mais c'est le plancher qui ne s'élève pas, constate M. Baudelot. Or nous allons inéluctablement vers une baisse du nombre d'emplois non qualifiés. Que vont devenir ceux qui ne suivent pas? Le propos de «Club des archives», nouvelle émission pour laquelle on avait de l'appétit, laisse perplexe. C'est pour quoi faire? Montrer des images d'archives à Jean Lacouture, à Erik Orsenna, à X, Y, Z et leur demander :«Qu'est-ce que c'est?» , ça signifie quoi? Qu'ils n'en savent rien, et puis voilà. Faufiler sur une musique mal venue des images dont beaucoup sont archiconnues ? même si, furtivement, il y a une perle, Marlène Dietrich luttant contre le vent, le massacre d'Aït Abid en Algérie ? et plaquer dessus dix minutes d'Art Tatum au piano? il devait y avoir une idée derrière tout cela. Elle m'aura échappé (La Cinquième). Sur le gril au «Grand Jury», Hubert Védrine après la déclaration flamboyante du Premier ministre à Jérusalem. Mais Védrine est un gros poisson. On ne lui tirera pas un mot sur ce qui met la classe politique en émoi : gaffe ou propos délibéré? Je plaide pour le propos délibéré. Il ne pouvait pas ignorer qu'il allait mettre «le microcosme» , comme dit M. Barre, en transes. Sur le gril de Ruth Elkrieff, Jack Lang a commencé son marathon. Pas de coquetterie, c'était le doyen de la faculté de droit qui parlait. D'ailleurs, elle l'exaspérait. Pour une raison quelconque, cette jeune femme si intelligente d'autre part avait choisi de lui poser, en guise de questions, une enfilade de lieux communs poussiéreux comme en traînent tous les personnages publics. Enfin, peut-être que cela a fait tordre de rire les spectateurs qui étaient encore sur la une à cette heure-là. F. G.
Mercredi, février 2, 2000
Le Nouvel Observateur