Une émission sur la sexualité féminine provoque une vive réaction de rejet de la part d'un journaliste. FG réagit à ces commentaires et prend la défense des propos selon elle salutaires, tenus dans cette émission.
Qui prétendait qu'il n'y avait plus d'auditeurs pour écouter « France-Culture » ? Il y en a eu au moins un, l'autre samedi, pour entendre à 8 h 30 du matin quelques « Réflexions sur la sexualité féminine », vaste sujet s'il en fut.
Cet auditeur, M. André Brincourt, est le chroniqueur connu d'un grand quotidien ; il a donc aussitôt fait part de son indignation à un large public, qui va du même coup se hâter d'écouter la seconde diffusion de cette émission. A moins que le Comité des programmes de l'O.R.T.F., appelé à juger de son opportunité, ne prenne le parti de l'interdire.
Les raisons que M. Brincourt peut avoir de se sentir violemment choqué, révolté, scandalisé, par ce qu'il a appelé « un torrent de pornographie » et « un attentat à la pudeur », ne sont pas de celles qui se discutent. C'est son droit et, sans doute, son devoir de l'écrire.
Après une audition attentive de la bande d'enregistrement, il me faut dire, simplement, que je l'ai ressenti autrement : comme un exposé clinique sommaire, que n'importe quel homme, n'importe quelle femme devrait pouvoir entendre avec autant de calme, ou presque, que s'il s'agissait de ses fonctions hépatiques. Presque, parce que personne n'est tout à fait libre à l'égard de la sexualité.
C'est un fait qui n'a ni plus ni moins de signification, quant au caractère de cette émission, que les réactions de son fougueux censeur, s'il en a peut-être quant à nos inconscients respectifs. M. Brincourt écrit que ces « Réflexions sur la sexualité féminine » n'auraient pas leur place dans une caserne. Faute d'avoir fréquenté ces lieux où souffle l'esprit, il m'est impossible d'en juger. Elles auraient, en tout cas, leur place dans un magazine féminin, non en les édulcorant, mais en les développant. Car leur mérite est seulement de rompre, sur les ondes, avec le silence angoissé où baigne depuis tant de siècles ce que Freud appelle le continent noir.
Ce n'est pas au nom de la liberté d'expression qu'il convient d'apprécier leur diffusion par « France-Culture ». Elles n'expriment rien. Aucune position morale, ou immorale, comme on voudra. Aucun sentiment personnel aux auteurs. Aucun écho de la vigoureuse vulgarité propre aux femmes dessalées quand elles se mêlent d'être salées au point de vous faire regretter le temps où elles étaient sucrées. Rien que de l'information sur des mécanismes physiologiques et psychologiques.
On peut faire mieux. On peut faire moins bien. Mais pourquoi ne la ferait-on pas, cette information ? La sexualité est la chose du monde la mieux partagée, le plus grand commun dénominateur de l'espèce humaine. Qui vit, qui a vécu étranger à ses manifestations ? Ignorant, peut-être. Indifférent, jamais. Inquiet, et surtout inquiète, souvent.
On a pu parler de la « ténèbre inviolée » du plaisir physique chez la femme. Au moment où la revendication de ce plaisir est agressivement exprimée, comme s'il s'agissait d'une augmentation de salaire, au moment où son absence commence d'être ressentie comme une frustration, un manque, voire une infirmité, il est bon d'en dire la complexité.
C'est ce à quoi s'est efforcée, sur un ton neutre, et dans un vocabulaire aussi peu suggestif que possible, une femme médecin, le Dr Jacqueline Renaud, attachée de médecine psychosomatique à l'hôpital Necker. Elle dit d'abord ceci : que la situation des femmes par rapport à leur propre sexualité est plus difficile que celle des hommes. Que la notion de « faute », qui continue d'être inculquée aux filles dès l'enfance, dans le but de les protéger contre « l'agression » masculine — et qui s'oppose à la notion de victoire inculquée aux garçons — met les femmes en état de culpabilité vis-à-vis de leur corps.
Les adolescentes sont, d'autre part, entretenues par leur entourage féminin dans l'idée que les hommes sont très généralement des porcs, et qu'elles auront essentiellement à en souffrir. Culpabilité et méfiance de l'homme, ces traits constants se retrouvent enfouis dans le psychisme de la plupart des femmes, transmis de génération en génération, et opèrent de véritables blocages.
A cette première intervention succède, dans l'émission, la voix d'un homme anonyme répondant à quelques questions. Ce blocage, il a eu, comme tous les hommes, l'occasion de s'y heurter. Certains s'y résignent ou préfèrent n'y pas trop penser. Lui pas. Il évoque, avec intelligence, tendresse et inquiétude, la difficulté d'être un mari « qui reste l'amant de sa femme » plutôt que de la considérer « comme une commodité ». Ce n'est pas simple. Les femmes sont de drôles de machines. Pourquoi ? Ce n'est pas, dit-il, « son rayon ». Mais sa femme, c'est son rayon. Et parce qu'il l'aime, il n'est pas entièrement heureux quand il ne parvient pas à lui apporter ce qu'il appelle joliment « la quiétude ».
Il passe alors la parole à Mme Jacqueline Palmade, sexologue. Elle décrit en quelques phrases la nature de l'anxiété féminine en face de la tranquillité masculine. Des raisons psychologiques, dit-elle brièvement, crispent les femmes parce qu'elles savent bien que l'homme n'aura aucune peine à trouver le plaisir avec une autre partenaire, alors qu'elles ne sont nullement assurées de pouvoir procéder à la même substitution. De là un souci plus vif de l'autre que d'elles-mêmes, et une inquiétude paralysante sur leur propre capacité à se dénouer.
Nouvelle intervention du Dr Renaud, pour dire combien, dans sa nature anatomique, la femme est différente de l'homme. Elle donne quelques détails techniques : disposition des multiples terminaisons nerveuses qui irradient le corps féminin, complexité du double système de plaisir et de reproduction qui est propre aux femmes et qui doit bien avoir une fonction puisque la nature le leur a donné, caractères spécifiques qui rendent l'organisme féminin lent à s'émouvoir, mais capable d'un ébranlement profond... Voilà. C'est fini ou à peu près.
S'il est interdit de dire ces choses-là sans faire scandale, le temps est encore loin où, « Diane n'aura plus peur d'assumer le génie de son sexe ».
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
condition féminine