Femmes délinquantes (fait le récit d'un fait divers)
On se doutait bien que ça finirait comme ça, mais elles n'ont tout de même pas traîné, ces douces et frêles créatures. Evidemment, le jour où une femme est devenue député il ne fallait pas être Geneviève Tabouis pour deviner que d'autres femmes allaient devenir gangsters.
Je ne voudrais pas avoir l'air d'insinuer qu'il y a un rapport entre ces deux professions.
Je remarque simplement qu'on a arrêté ce mois-ci six femmes jeunes et jolies parce qu'elles maniaient l'arme à feu comme d'autres maniaient les décrets-lois et que le mal a commencé le jour lointain où une femme s'est dit brusquement en regardant un homme :
— A sa place, je ne ferais sûrement pas plus mal...
Or, c'est exactement ce que s'est dit Simone la Saigneuse - petit nom tendre qu'on lui donne dans l'intimité — lorsqu'elle a assassiné Mme Garola, en 1936 dans le train de Nice.
Travail bien fait, au nez, à la barbe et aux chaussures à clous de la police.
Mais, histoire de se distraire un peu, elle s'en fut, un soir de 1941, faire une petite partie de cambriolage au clair de lune avec son amie Madeleine la Gitane. Arrestation. Condamnation. Libération.
Simone la Saigneuse n'était pas une paresseuse. Elle s'est remise aussitôt au travail en envoyant à saint Pierre un riche tailleur du faubourg Saint-Antoine.
Hélas ! Elle avait perdu la main. Arrêtée.
Nénette du Sébasto était le chef d'une bande de cambrioleurs. En vrai chef, elle savait donner l' exemple et mettre la main à la pâte. Elle la mit aussi dans le coffre-fort d'un de ces faibles hommes, Daniel Dupré, qui s'était cru, dans sa candeur, aimé pour lui-même. Arrêtée.
Jacky la Tueuse est une délicieuse blonde de 24 ans à laquelle on donnerait le Bon Dieu sans confession. Mais elle préfère les manteaux de vison.
C'est pour en acheter un qu'elle a livré un courtier en vins, Robert Cohen, à la bande de tueurs qu'elle menait de sa petite main blanche.
Un vison, c'est bien. Mais avec un diamant, c'est mieux. Les frères Peugeot devaient en faire les frais. Sur les ordres de Jacky, ils ont été supprimés. Hélas ! Les tueurs avaient négligé de supprimer également le carnet sur lequel figuraient le nom et l'adresse de cette fragile blondinette. Arrêtée.
Yvonne de Montereau dirigeait un gang de cinq bandits qui épargnaient aux employés de la gare de Montereau la peine de décharger les wagons de marchandises .Ils s'y employaient gratuitement chaque nuit.
La S.N.C.F. s'est lassée de ces excellents services. Arrêtée.
Inge la danseuse, étoile de l'Opéra de Dresde, en 1943, s'était éprise d'un prisonnier de guerre français. En 1945, ils s'installent ensemble à Paris. Entre deux danses nues, elle berce le bébé qui est né, tandis que, sur son vélo, il reprend son métier de livreur de journaux.
Un effroyable gangster vole ledit vélo. « Qu'à cela ne tienne, dit Inge, je vais t'en acheter un autre. » Et comme les deux vieilles dames auxquelles elle veut prendre de l'argent n'ont pas l'air de comprendre la situation, elle s'échauffe... et les refroidit. Arrêtée.
Enfin, Liliane la Timide, brune de 20 ans au visage d'ange, vivait d'amour tendre avec un jeune électricien, Dédé. Dédé était en chômage. Liliane la Timide usa de son revolver pour engager fermement quelques commerçantes du quartier à lui remettre sans trop de façons le contenu de leur tiroir-caisse.
Ce fut le tour d'une parfumeuse de la rue Falguière. Malheureusement, la parfumeuse avait un parfumeur qui survint au moment où on l'attendait le moins. Liliane et Dédé jugèrent prudent de les laisser en tête à tête. Dédé court encore. Liliane a été arrêtée parce que la barrette de sa chaussure s'est cassée pendant qu'elle s'enfuyait.
C'est là que le bât les blesse.
« Les talons hauts et la guêpière sont les ennemis de la femme gangster.
Les couturiers, qui ont décidé sans rire de nous donner ce printemps une '' exquise féminité'', n'y ont évidemment pas pensé parce que, jusqu'à présent ils ne recrutaient pas leurs clientes dans ce milieu- là. a l'avenir cependant ils feraient bien de tenir compte de leurs difficultés professionnelles : elles seront bientôt les seules à pouvoir se fournir chez eux.
Si on en a arrêté une demi-douzaine en un mois qui ne compte même pas trente et un jours, combien y en at-il en liberté ? Le bilan est meilleur que celui de la Banque de France.
C'est que, lorsqu'on ouvre les cages du Zoo, les hyènes bondissent et s'élancent aussi vite que les gazelles.
Et tant pis pour le gardien s'il se fait manger.
