Encourage les femmes à rester belles et élégantes, forme de courage morale, malgré la guerre
Je vois arriver l'été sans même avoir le courage de me commander une robe », m'écrit une lectrice. Et une autre :
« Y at-il vraiment des femmes gui se soucient encore de la mode ? Pour moi, je ne prends même plus le temps de me regarder dans une glace... »
La vie est dure, certes, infiniment pour toutes celles qui doivent assurer le ravitaillement familial et refuser, le cœur serré, un chocolat à Jeannot, une tartine de confiture à Jeannette. Elle est pénible et douloureuse pour celles qui, en l'absence du mari prisonnier, ont pris sa place pour assurer leur subsistance et celle de leurs enfants.
De ces lourdes tâches, les femmes de France s'acquittent avec un magnifique courage, et j'ose à peine leur demander d'en avoir un peu plus, tant elles se montrent déjà admirables.
Pourtant... pourtant, ces lettres m'y incitent, par ce qu'elles contiennent de renoncement.
A l'immense effort que vous fournissez déjà, Madame, ajoutez encore celui d'être belle. C'est encore une forme de courage, et ce n'est pas toujours la plus facile. Elle est indispensable à votre résistance morale et à celle de ceux qui vous entourent.
Quant à celui qui là-bas a construit autour de votre visage son univers, vous n'avez pas le droit de lui rendre à son retour une femme vieillie ou abîmée.
Ne dites pas : « Après la guerre... » Passés vingt ans, une femme qui ne lutte pas quotidiennement pour sa beauté la perd un peu chaque jour. Il ne s'agit pas de frivolité ou de coquetterie déplacée et de soins compliqués, mais seulement de respect pour votre « forme humaine », dont Goethe disait : « C'est la chose la plus digne qu'on s'occupe d'elle ».
Nulle femme n'a le droit d'avoir des mains mal soignées parce que le vernis à ongles est rare, de porter un peignoir taché parce qu'elle est astreinte à des besognes ménagères, de se transformer en arc-en-ciel parce que les tissus sont limités et les réassortiments difficiles.
Nulle femme n'a le droit de laisser le mauvais pain que nous mangeons épaissir sa taille, les marches prolongées gonfler ses chevilles, alors que quelques minutes de culture physique quotidiennes lui apporteront, outre un bon équilibre moral et physique, le remède à ces inconvénients.
Nulle femme enfin ne devrait ranger son sourire avec ses robes du soir. Il est des sourires qui se perdent et des robes du soir que l'on ne remet jamais.
Vous qui consacrez à votre maison, à vos enfants, à votre travail, plus de cinq mille minutes de votre journée, gardez en trente pendant lesquelles vous vous occuperez de vous. Vous les avez bien méritées.
Ne haussez pas les épaules en lisant que les mannequins de Paris sont venus en zone libre présenter les créations de nos couturiers. Bien sûr, il n'y a plus de tissu, bien sûr il n'y a plus de fil, bien sûr, vous n'avez pas les moyens de payer une robe cinq ou six mille francs.
Mais ce voyage, c'est le sourire de Paris à travers les larmes, c'est sa manière à lui de préserver son visage.
Vous êtes au milieu d'un tunnel et vous avez parfois envie de vous asseoir pour pleurer. Au bout de chaque tunnel, il y a la lumière.
A toutes celles qui accomplissent bravement leur tâche quotidienne, je voudrais crier : « Espérez ! N'abandonnez pas. Ne courbez pas les épaules sous le fardeau exceptionnellement lourd de votre actuelle condition de femme, au point d'y perdre votre gaieté, votre jeunesse, votre beauté. »
Qu'elle qu'ait été votre journée, asseyez- vous à la table familiale avec des cheveux en ordre, des mains soignées, une robe fraîche. Ce sera d'abord un effort supplémentaire, puis une immense satisfaction, et chacun vous en sera reconnaissant.
Et vous qui passez, solitaires, de trop longues soirées, n'ajoutez pas à votre peine la tristesse d'apercevoir dans un miroir votre image flétrie.
Ne laissez pas les coins de votre bouche s'affaisser. Ils pourraient bien ne plus savoir se relever.
Luttez aussi de toutes vos forces pour préserver votre esprit, pour ne pas vous laisser complètement absorber par la signification du ticket GD ou la ration de pois chiches que vous avez oubliée de toucher. Il y a encore des livres à lire, des concerts à entendre. Il ne faut pas les négliger mais saisir au contraire toutes les occasions de constater que vous n'êtes pas une machine, mais une femme restée sensible à la beauté, à la culture, et capable de soutenir une conversation où l'alimentation et les hostilités n'occuperont pas la place essentielle.
Il faut « tenir », moralement et physiquement.
Mardi, octobre 29, 2013
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condition féminine