Imagine les notes personnelles de M. Dumaine, chef du protocole tient sur les différents dirigeants
Eh bien ! On espérait que M. Dumaine, notre professeur national de bonnes manières, était content : toute sa petite marmaille s'est très bien tenue pendant la visite de la princesse héritière d'Angleterre. Personne n'a mis les doigts dans son nez, personne n'a craché dans la soupe et le chef du protocole, qui, moyennant 55.000 francs par mois, remplit à la fois les fonctions de chef de gare et celles de gouvernante, veillant à ce que les Français soient « toujours bien polis, toujours comme il faut », n'aurait pas dû avoir à se plaindre de ceux qu'il considère comme de petits polissons toujours disposés à lui faire des farces.
Mais voici qu'en courant à droite et à gauche, M. Dumaine a perdu un petit carnet sur lequel on a retrouvé les notes suivantes, classées par ordre alphabétique :
AURIOL (Vincent): Travailleur et brillant, mais dissipé. S'est amusé à faire un mot historique pour se distinguer en remettant à la princesse Elisabeth le grand cordon de la Légion d'honneur. « Le protocole exigerait que je vous donne l'accolade, mais je délègue mes pouvoirs à votre auguste époux... », at-il dit. À surveiller, malgré une amélioration sensible dans la conduite. Consent déjà à ne plus porter de bracelet-montre avec l'habit et à garder un gibus à la main, sinon sur la tête.
AURIOL (Mme Vincent): Plus élégante que le président. La robe du soir en jersey noir était parfaite. Grande dame. Pendant le dîner, ai pensé à l'histoire de Mme Thiers, qui dit à son mari, au cours d'un déjeuner offert à l'ambassadeur de Russie Gortchakoff :
— Adolphe, laisse cette pomme... Tu sais bien que ces fruits sont pour le dîner de demain...
Rien à craindre de semblable avec la présidente actuelle.
BIDAULT (Georges): Très en progrès depuis le jour où il est venu dîner à l'Elysée en gilet noir sous son habit. Discipliné, a scrupuleusement observé les cinq minutes qui lui étaient accordées pour prononcer son discours au musée Galliéra, bien qu'il n'eût pas grand-chose à dire.
EDIMBOURG (Elizabeth. duchesse d') : Royale, mais inexacte. À failli bousculer tout l'horaire de la soirée du samedi en arrivant en retard au pont d'Iéna, parce qu'elle avait déchiré sa robe en montant en voiture. Ai dû intervenir pour la prier respectueusement de ne pas aller changer de toilette. Garde-robe inégale, mais bien montée : vingt robes en cent heures. Parle admirablement le français. Accent différent, mais moins prononcé que celui du président de la République.
EDIMBOURG (Philip, duc d') : Joli garçon un peu traînard.
EGYPTIENS : Grossiers. Auraient pu attendre huit jours pour bombarder Tel-Aviv.
GAULLE (Pierre de): Intraitable (ça doit être de famille). A exigé de dresser lui-même la liste des invitations au cocktail de l'hôtel de Lauzin. Sur cinq mille demandes, n'en a agréé que cent cinquante. Présent obligatoirement à toutes les manifestations, parce que la princesse s'était déjà étonnée de ne pas rencontrer l'Autre (il ne m'aurait plus manqué que celui-là pour devenir fou). À son crédit: a donné des instructions précises et respectées pour que les épouses des conseillers municipaux fassent la révérence, portent chapeau et gardent leurs gants pour serrer la main de la princesse. Difficile, mais bien élevé.
HERRIOT (Edouard): Héroïque. S'est douloureusement abstenu de fumer pendant les deux heures qui ont suivi le dîner à l'Elysée, parce que la princesse avait refusé la cigarette qu'on lui offrait.
Et les notes se poursuivent ainsi à toutes les lettres de l'alphabet. Mais, en y regardant de plus près, je trouve à la lettre D :
DUMAINE (Jacques Emmanuel) : Se prendrait facilement pour le digne successeur de Becq de Fouquières, bien que M. Becuwe, directeur adjoint du cabinet de M. Schuman, se soit chargé de le détromper après les obsèques du général Leclerc, où la voiture du président de la République suivit un itinéraire fantaisiste et imprévu pour se rendre de Notre-Dame aux Invalides. »
D'où je conclus que ce petit carnet n'a pas été rédigé de la main de M. Dumaine et que, s'il en tenait un, on y lirait plutôt, à la lettre G :
GIROUD (Françoise): Journaliste impertinente, qui se venge bassement de n'avoir pu, ainsi que ses confrères, suivre le voyage de la princesse Elizabeth qu'à travers les récits d'observateurs obligeants et bénévoles. »
Mardi, octobre 29, 2013
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