Candidat pour faire quoi ?

Après le départ de DG. S'interroge sur la figure du futur Président.
La tristesse des vieux compagnons, ceux des années héroïques, on eût été triste qu'elle ne s'exprimât pas. Ceux-là ont aimé l'homme du 18 Juin pour ce qu'il incarnait. Mais s'ils se tenaient tous par la main, ils ne couvriraient pas la route de Paris à Colombey.
Les autres, gaullistes ou non, qui ont suivi, soutenu, approuvé ou combattu l'homme politique, ne lui ont pas infligé l'affront de lui préférer un rival. En ce sens, la comparaison avec Winston Churchill, contraint de passer sa charge à Clément Attlee, n'est pas tout à fait exacte.
De sa retraite, le général de Gaulle rendra maintenant un ultime service à son pays : il en est, désormais, le témoin.
Chaque homme en situation d'avoir, aujourd'hui et demain, des responsabilités nationales, sait qu'un regard froid, détaché cette fois, on peut le croire, de son destin personnel, l'observe. Non qu'il s'agisse d'imiter, d'obéir, ou de craindre. On ne s'improvise pas figure historique, ni pour le meilleur ni pour le pire. Et c'est avec un sens évident de la faute à ne pas commettre que M. Alain Poher a su dire, lundi : « Vive la République, vive la France », sans évoquer personne.
Est-ce l'œil d'Abel regardant Caïn sous lequel la succession s'ouvre ? Plutôt l'œil du Père qui a répété cent fois :
« Sans moi, ils ne savent faire que des bêtises... », et auquel le moment est venu de prouver le contraire. En lui accordant, cela va de soi, le crédit de penser qu'il s'en réjouira.
Nier son père et esquiver ainsi la nécessité de le mettre à mort, symboliquement, pour assumer sa maturité, c'est, individuellement, une attitude névrotique. Celle du contestataire de toutes les expressions du pouvoir. Peut-être cette attitude se répandra-t-elle dans l'avenir. Pour l'heure, il semble au contraire que le vote des Français, si mêlées qu'aient été leurs motivations, est un signe de bonne santé psychique. Il reste à la traduire en termes politiques.
Qui sera, demain, non pas le père de la nation, mais le directeur élu de l'entreprise France ? Comment le deviendra-t-il ? Et dans quel but ? Plus on approche les hommes politiques de toutes tendances, moins on est enclin à les prendre pour ce qu'ils ne sont pas : ni surhommes ni bouffons aux dents longues et aux manœuvres courtes.
Cette image est la plus fausse et la plus dangereuse que l'on puisse répandre pour nuire à un adversaire : elle devient rapidement le portrait robot de tout prétendant au pouvoir. Et il en faut, n'est-ce pas ?
C'est un dérèglement de l'esprit que de voir, en tout homme politique qui vous déplaît, un arriviste méprisable. D'autant que le cynique absolu est une espèce inconnue dans la race humaine. Quand, d'aventure, on croit en rencontrer un, on le retrouve vieillissant dans les bonnes œuvres. L'homme capable de reconnaître, par devers lui, qu'il est mû par des sentiments bas ou vulgaires n'existe pas. Il découvre toujours une justification à ses actes le confirmant dans l'idée qu'il travaille pour le bien de la nation, de l'humanité, du peuple, de la société, de sa classe, de sa secte, de sa ville, de son quartier, de sa profession, de son entreprise, de sa famille, du socialisme, de sa vieille mère ou du commerce extérieur.
Le milieu politique abrite bien des médiocres ou des présomptueux, mais plutôt moins de cyniques que d'autres. Le métier est trop dur, les batailles sont trop cruelles, les blessures trop nombreuses, les récompenses trop rares et trop aléatoires. Les hommes qui peuvent prétendre à la conduite des affaires publiques ressemblent, y compris les plus grands, aux autres hommes. Ils ont besoin de croire qu'ils servent le bien, et ne se distinguent que par ce qui distingue tout individu d'un autre : le degré d'intelligence, de caractère, de courage intellectuel, d'imagination, de sang-froid dans l'action, de méthode dans la décision, de perspicacité dans le choix de l'entourage visible et invisible, d'expérience humaine, de dynamisme, de foi, de jugement.
Et, bien sûr, de ce qu'on appelle tout bonnement le talent. En premier lieu, celui de convaincre, qui exige d'être soi-même convaincu.
Encore faut-il que le produit de l'ensemble, si réussi soit-il, coïncide avec la situation. Là intervient la chance, ou, si l'on préfère, le destin.
L'ambition ? Tout homme politique en a. Heureusement. L'important, c'est qu'il ait les moyens de ses ambitions. L'impardonnable, c'est d'avoir pour objectif le pouvoir, et non ce que l'on y fera si on l'atteint. Le pouvoir, pour y faire quoi ?
Le bonheur du peuple, la justice, la paix et autres babioles ont été promis, et sans doute souhaités, par tous ceux qui ont gouverné. Ce n'est pas un programme : c'est l'hymne national. Sans exiger d'un futur chef d'Etat qu'il dise précisément ce qu'il espère réaliser, comment et avec qui, on peut à bon droit se méfier des pochettes-surprise, et refuser de ne se prononcer que sur l'emballage.
Mais nous n'en sommes pas encore là. Ce qui retient, ces jours-ci, c'est le choix des candidats qui s'affronteront pour la conquête de l'Elysée. Et là, citoyens, nous ne sommes que spectateurs.
Il est clair que tout se joue entre une poignée d'hommes — une cinquantaine — les uns connus du public, les autres obscurs mais non moins actifs, dansant chacun de subtils ballets.
Combinaisons ? Certainement. « Quoi que vous me disiez que le pouvoir m'est venu comme de lui-même, je sais ce qu'il m'a coûté de peines, de veilles, de combinaisons », disait le plus illustre des Français.
On aura compris qu'il s'agit de Napoléon. Il ajoutait, se confiant en 1804 à Rœderer : « Ma maîtresse, c'est le pouvoir. J'ai trop fait pour sa conquête pour me la laisser ravir, ou souffrir même qu'on la convoite. »
Que les amants du pouvoir se battent pour être en position de le conquérir, fût-ce quand il est au Vatican, qu'ils feintent, qu'ils rusent, qu'ils négocient, il n'est pas seulement étrange de s'en offusquer. C'est aussi un peu niais. Ah ! le beau chef d'Etat ou de gouvernement celui qui, dans l'exercice de son mandat, n'aura ni tactique ni stratégie, ne saura ni feinter, ni ruser, ni négocier. C'est un métier que d'assumer la responsabilité des affaires publiques. Ce n'est pas une investiture divine donnée par le Seigneur à son impeccable fils.
Sans doute est-il habile de ne le point paraître. C'est le plus difficile. Cela suppose qu'au-delà des tractations nécessaires, on sache soi-même sur quelle étoile on fixera son cap. Candidat, pour faire quoi ?

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express