Canal moins

«Canal est malade»
Canal+ est-il dépossédé, désossé, démantelé par Vivendi? Les rapports entre l'un et l'autre sont trop compliqués pour qu'on s'y étende. Mais une décision simple doit être rendue ces jours-ci par le CSA concernant le fichier d'abonnés de la chaîne. Il est considérable. Treize millions de fidèles, c'est la force de frappe de Canal+. Jamais dans le passé il n'a été loué, prêté, vendu. Or Vivendi entend l'utiliser pour en faire un réseau commercial de vente qui va engraisser son aile américaine. Le fondateur de Canal, André Rousselet, hurle au voleur, mais très probablement en vain. En quoi cela nous concerne-t-il? En rien. Simplement, c'est triste. Canal+ n'est plus ce qu'il était. Il reste le foot, oui, mais sur l'écran, on peut lire en gros, si l'on sait lire : «Canal est malade.» Résultat des batailles au sommet? Reflet, plutôt. C'est le moral qui n'y est plus, semble-t-il. Ce charme fait de dérision, de jeunisme, d'insolence, qui en agaçait beaucoup mais qui a fait école, s'est dissipé. «Nulle Part ailleurs» se traîne, son audience baisse. On ne pense même plus à regarder les Guignols. Alain de Greff, directeur des programmes, si inventif autrefois, mélancolise dans la presse tandis que son complice Pierre Lescure est assis aux Etats-Unis sur un fil que Jean-Marie Messier peut couper à chaque instant, il l'a annoncé. Tout cela ne diffuse pas un climat très créatif. C'est si mystérieux, la création, même quand il s'agit des petites bêtises de Canal+; ça se détraque si rapidement. Tous les bons managers le savent : les créatifs, c'est fragile? Mais M. Messier ne doit pas être au courant. Charles de Castries, fils de la bonne aristocratie, est sérieusement fauché. Alors, pour s'habiller, dès qu'il y a un mort dans la famille, il se précipite et emporte deux ou trois costumes. C'est ce qu'il a confié à Mireille Dumas. Il était le seul parfaitement à l'aise en face d'elle, tant les Français sont toujours gênés quand on leur demande de parler d'argent. Franck Lebœuf, footballeur de l'équipe de France, gagne 1 million par mois dans un club anglais, il sait que cela peut durer encore quatre ou cinq ans, alors il gère soigneusement ses gains avec les conseils d'un spécialiste pour assurer l'avenir de ses enfants. Quand on l'entend, on pense à La Fontaine, «le Savetier et le financier», tant on le sent inquiet de voir cet argent s'envoler, tel spécialiste l'arnaquer. Il n'est pas heureux, cet homme-là? S'il circule dans une rue de Londres en Ferrari, des badauds le regarderont, lui parleront peut-être. S'il le fait à Paris, on lui envoie des pierres, on raye les vitres. L'envie est, on le sait, le moins sympathique de nos traits nationaux. Dès lors, on comprend la réticence à communiquer le montant d'un salaire ou d'un patrimoine. Philippe Bouvard s'y refuse énergiquement. Jean Yanne? De toute façon, ce vieil anar claque tout. Allons, personne en France qui possède trois sous n'a envie de les afficher. C'est ainsi depuis des siècles. Il faudra plus que l'euro pour que ça change. Un qui ne cachait pas sa fortune, c'est Hearst, William Randolph Hearst, le magnat de la presse américaine, héros du fameux film d'Orson Welles «Citizen Kane». Il était tout-puissant, possédait cinquante-six demeures et la plus imposante collection d'objets d'art jamais réunie! Quand il eut des difficultés, en 1933, il décida de vendre sa collection dans un grand magasin de New York, Gimpel. Des caisses et des caisses et des caisses d'objets hétéroclites, quelquefois immenses ? le lit de Louis XIV! ? furent exposés chez Gimpel, attirant plus de 100 000 visiteurs qui hésitaient entre un miroir étrusque et le gilet de soie de George Washington. Hearst fut requinqué. Le film d'Orson Welles lui fut suprêmement désagréable et il en fit saboter la diffusion. Sa femme, Marion Davies, ne pardonna jamais le portrait que Welles fait d'elle. On l'entend dire : «Nous l'avons fait chasser de Hollywood! Et il n'a plus trouvé de travail.» C'est un document original que Planète a déniché là? Mais le feu d'artifice de la semaine fut sur M6 avec «Capital»: ces fameuses start-up, qu'est-ce que c'est, comment ça marche? ou ça ne marche pas? En suivant pendant huit mois trois garçons résolus à monter leur affaire, on a compris. Il faut avoir une idée (ce fut «Tout louer»), puis un investisseur. Au début, ceux-ci étaient nombreux à chercher les petits génies capables de faire de l'or avec du Net. Il y en a beaucoup moins aujourd'hui. Les start-up mortes au champ d'honneur d'internet ne se comptent pas. Mais il en reste. Les trois garçons de M6 ont eu beaucoup de déboires avant de faire démarrer «Tout louer», entassés dans 20 mètres carrés. Ils ont réussi. Un jour, ils devraient être riches. Un reportage implacable sur Silicon Valley, où les informaticiens roulent sur l'or et où les employés couchent dans les foyers pour sans-abri parce que les logements sont trop chers, achevait ce voyage dans l'enfer doré du Net. F. G. «

Jeudi, novembre 23, 2000
Le Nouvel Observateur