Le soir où sa voix a fléchi, elle a quitté la scène et n'y est jamais remontée. C'est beau, l'orgueil...
Avec LCI seule, on peut survivre très bien, quand on met, ailleurs, la clé sous la porte. Mais on ne peut pas écrire six feuillets sur une semaine de télévision. Alors, comme on met le bout du pied dans une mer froide, j'ai tâté ici et là, et j'ai rencontré de bonnes séries. Si l'on est amateur il y en a beaucoup. Plus deux opéras avec une belle distribution, «Boris Godounov» et «Nabucco», malheureusement à la même heure. Plus un pénible navet pour analphabètes américains. A 20 h 55, samedi, sur la Une, un téléfilm merdique titré «Jeanne d'Arc», c'est un attrape-nigaud. En revanche, le nouveau jeu de la chaîne, à 19 heures, qui annonce «Qui veut gagner des millions?», mérite son intitulé. Rodé, dramatisé, informatisé, il marche dans le monde entier, car il est exact qu'en répondant sans se tromper à des questions relativement simples les joueurs peuvent empocher des sommes considérables. Aussi sont-ils dans un état, je ne vous dis pas. La Une a sûrement prévu une infirmerie. Pour changer un peu, j'ai navigué sur internet. Vivendi a annoncé à grand tapage un portail. Pour le moment, c'est illisible et cela suggère de la truite en papillote comme plat du jour. Ça, c'est de la vie pratique! Sur Yahoo!, j'ai tapé «sexe» et une liste de possibilités m'a été fournie. Elles sont à faire rougir un Conseil d'Etat. En passant par le portail américain, c'est plus salé mais payant. Plus commode que le film porno de Canal+ à minuit, évidemment. Avec internet, on peut s'y mettre dès 7 heures du matin. Avant d'aller en classe, par exemple. Dans cet environnement, l'interdiction de «Baise-moi» a paru incohérente. Le dernier exploit de la censure en France n'a pas été heureux. Il s'agissait de «la Religieuse», film de Jacques Rivette inspiré de Diderot, interdit en 1966 par le ministre Yvon Bourges sous la pression d'associations catholiques. Scandale. André Malraux est ministre de la Culture. Il laisse le film figurer dans la sélection officielle pour Cannes, mais la diffusion reste interdite.«Cette affaire de la Religieuse", quelle sottise!», dit Mgr Feltin au général de Gaulle, président de la République.«Hé oui, dit de Gaulle,quelle sottise?» Après un recours du procureur devant le Conseil d'Etat, «la Religieuse» sortira en 1967, interdit aux moins de 18 ans. «Baise-moi» est un film obscène, d'une extrême violence. Tout art en est absent. Ils sort cru des tripes de filles violées. Avec ça, on ne fait pas «la Princesse de Clèves». Il est clair qu'il faut en protéger les plus jeunes, et en permettre en même temps la libre exploitation pour le public adulte, c'est de simple bon sens. Sans se dissimuler qu'un jour ou l'autre on retrouvera «Baise-moi» sur un site internet. A moins que Catherine Tasca ne se saisisse de cette affaire pour initier une réflexion sérieuse interprofessionnelle et internationale sur les moyens de tenir les enfants à l'abri de l'agression pornographique. La morale n'a rien à voir là-dedans. C'est de santé psychique qu'il s'agit. Un monde qui protège les phoques et pas ses enfants est devenu fou. Retour à la télévision pour voir «Capital» sur M6. Qu'est devenue la Côte d'Azur? Dès le mois de juin, plus un avion n'y arrive ni n'en repart sans une heure de retard pendant le week-end. Et au retour, il arrive qu'on vous dépose à Roissy au lieu d'Orly comme prévu. Monaco, Cannes, Nice sont devenus zones d'occupation russe. Des Russes que les hôtels, les magasins, les boîtes de nuit et les agents immobiliers s'arrachent. Ils paient cash, ne marchandent jamais rien. Au début ils étaient un peu perdus, mais des commerçants ont eu l'idée toute simple de placer partout des écriteaux libellés en russe, et de faire apprendre la langue à leur personnel. Le Russe est une mine d'or. Ne pas demander d'où il le tient. Dans le décor de la Côte, il a remplacé le Saoudien. La Callas sur Arte. Un bon montage de documents bien choisis. Sur scène, la Callas était magique par l'adéquation de chacun de ses gestes, de chaque frémissement de son visage au personnage qu'elle interprétait. Elle était Médée, elle était Norma, elle était Lucia, elle était Violetta, toujours des amantes trompées, des héroïnes bafouées. Orgueil, ambition, volonté ? elle a perdu vingt kilos et n'en a jamais repris un parce qu'on ne chante pas la Traviata avec des joues rondes ?, un caractère de chien, un visage tragique qu'elle éclairait de l'intérieur en quelque sorte, une séduction loin de tous les canons. Telle était la Callas, l'Idole, l'Unique. Le soir où sa voix a fléchi, dans «Norma», elle a quitté la scène après le premier acte, au scandale de la salle, et n'y est jamais remontée. La fin de sa vie, la voix perdue, l'amant perdu, la solitude («Personne ne me demande» ), la mort à 54 ans. Le film passe sans s'y attarder, et c'est bien ainsi. F. G. "
Jeudi, juillet 13, 2000
Le Nouvel Observateur