Balzac et les fabricants

C'est franc et honnête, ça distrait, ça instruit un peu... Décidément la télévision n'est pas un art
Soit. Il n'a pas été à son meilleur sur France2. Trop long, monotone, répétitif, la pointe émoussée? Lionel Jospin a le droit d'avoir un soir une baisse de régime. Mais aussitôt commence la chicane ? il prend un tournant libéral, gnagnagna, il vire à droite, gnagnagna, il a été mou sur Michelin, gnagnagna. S'y ajoute l'inévitable couplet sur son ambition présidentielle. Qui osera dire qu'il n'y pense jamais? Mais qui osera dire qu'il est assez benêt pour ignorer que les semaines seront longues avant que la question se pose vraiment. Et qu'il ne peut pas se permettre de perdre les élections intermédiaires avec de médiocres interventions. Jamais, depuis sa naissance, la télévision n'a produit un chef-d'œuvre, documen-taires exceptés. Normal. Contrairement au cinéma, la télévision n'est pas un art. Elle a au mieux de bons fabricants. De sorte que «Balzac» est aux «Enfants du paradis», par exemple, ce que la publicité pour La Poste est à Woody Allen. Une telle entreprise remplit son office cependant. Elle distrait sans vulgarité, elle instruit un peu, c'est du travail franc et honnête à l'adresse de millions de gens. De superbes interprètes féminines en sont le luxe. Quant à Gérard Depardieu, l'une de ses partenaires, Virna Lisi, lui dit : «Tu n'es pas bien beau.» Non, c'est un fait, mais il a une beauté, il est là, sa présence écrase l'écran, il peut faire n'importe quoi. Les deux épisodes de Balzac, bien accueillis, ont eu néanmoins une audience inférieure à celle de «Monte-Cristo». C'est le père Dumas qui serait content. Ce n'est pas de l'alcool, c'est du Canada Dry, Michel Field, veux-je dire, dans les bottes de Jean-Marie Cavada. Mais ce n'est pas gentil ce que j'écris là et surtout c'est injuste. En fait «la Marche du siècle» avait dégénéré. La voici donc avec Michel Field pour l'animer. Il sait faire, même si son premier numéro n'était pas maîtrisé dans sa conception et comportait des sujets déjà vus. Le thème : vidéosurveillance, espionnage à l'embauche, écoutes téléphoniques, fichiers croisés, vivons-nous surveillés? Réponse : oui, plus ou moins, plutôt plus que moins. Danger! Mais cela tourna au fourre-tout et partit de tous les côtés avec trop d'intervenants. Pour une raison obscure, la direction de FR3 s'obstine dans des programmations bimensuelles qui sont dissuasives. On serait heureux, cependant, de retrouver un ancien réflexe ? «Mercredi? Ah! c'est la Marche du siècle".» C'est tout le mal qu'on souhaite à Michel Field. Une histoire d'a-mour? Certainement, et il n'y en a pas de laide, même entre une vieille femme alcoolique délabrée et un jeune homme? comment dire? Le mot propre serait peut-être envoûté. Yann Andréa a l'air si jeune, avec son gentil petit sourire de collégien malicieux, que l'on est d'abord indisposé et que l'on chasse vite l'image du couple un peu particulier qu'il formait avec Marguerite Duras. Il ne faut pas penser à ça. Le mot de Chanel, lorsqu'on lui demandait dans son grand âge pourquoi il n'y avait pas d'homme dans sa vie, reste indépassable :«Un homme vieux? Quelle horreur! Un homme jeune? Quelle honte!» En fait, Duras et Andréa n'étaient pas deux mais trois, Elle, Lui et l'Ecriture en majesté, qui les gouvernait. Yann Andréa s'exprimait chez Pivot avec quelque difficulté à propos de ces dix-sept années d'esclavage mutuel où il fut tour à tour la plaie et le couteau. Mais il parlait sans impudeur.F. G. "

Jeudi, septembre 23, 1999
Le Nouvel Observateur