Prend fait et cause pour les homosexuels (« Peut-on dire à un homme, à une femme : « Vous avez atteint une maturité suffisante pour que l'on vous laisse libre de voter, c'est-à-dire d'engager la destinée de votre pays, mais vous n'êtes pas libre de lire o
En attendant qu'un émule du docteur Kinsey étudie à notre profit le « comportement sexuel du mâle français », M. Léonard, préfet de police, l'a étudié, et a exprimé son opinion en privant brutalement lesdits mâles de quelques- unes de leurs réjouissances.
Trois boîtes de nuit où les hommes qui n'aiment pas les femmes font de leur mieux pour leur ressembler ont été fermées et ne rouvriront pas... Pas tout de suite.
Consternation chez ces messieurs. Ou plutôt chez ces dames. Enfin, chez ces messieurs dames.
Du côté de chez Eve, on se plaint également des rigueurs de M. le Préfet parce, qu'il a interdit le match revanche qui devait opposer les postulantes au titre de Miss France. Un joli nom pour une vilaine histoire.
Pour la première fois, un auteur et un éditeur, MM. Max Roussel et René Cusset, sont écroués à la Santé sous l'inculpation d'outrage aux bonnes moeurs. Le premier a écrit, le second a édité : « Ne sont pas morts tous les sadiques ».
N'ayant pas lu cet ouvrage - on a de ces négligences ! — il m 'est interdit de le critiquer. Le titre peut néanmoins donner à penser qu'il ne s'agit pas d'une haute manifestation de la pensée française.
Enfin, le film d'Yves Allégret « Une si jolie petite plage » est menacé d interdiction par le ministère de la Santé publique.
Ces petits faits réunis semblent prouver que les défenseurs de la morale (publique, comme la santé) contre-attaquent. Une fois de plus le problème se pose d'une certaine liberté : celle de choisir son poison aussi bien que son député. Peut-on dire à un homme, à une femme :
« Vous avez atteint une maturité suffisante pour que l'on vous laisse libre de voter, c'est- à dire d'engager la destinée de votre pays, mais vous n'êtes pas libre de lire ou d'aimer à votre gré, ce qui n'engage que vous » ?
Doit-on veiller sur la santé morale d'une nation malgré elle, comme on veille sur sa santé physique en lui interdisant l'usage des stupéfiants ?
Parce qu'enfin il faut bien avouer que, s'il n'y avait pas des centaines d'amateurs pour alimenter la caisse des boîtes de nuit particulières — comme les amitiés qui s'y nouent — elles ne vivraient pas. S'il n'y avait pas des milliers de jeunes personnes avides de montrer leurs cuisses avec permission d'y toucher, il n'y aurait pas de concours où elles s'affronteraient. S'il n'y avait pas des
centaines de milliers de lecteurs pour les romans pornographiques et les journaux qui cachent leurs reporters sous les lits pour ne rien perdre de ce qui s'y passe, on ne les imprimerait pas.
Un homme de théâtre célèbre s'est enrichi en montant des spectacles légers où défilaient quantité de refrains grivois et de femmes juste assez nues pour l'être trop. Il est, chez lui, d'une moralité très stricte, et impose à sa famille la rigoureuse observance des disciplines catholiques.
En paix avec sa conscience, il ne voit aucun inconvénient à satisfaire, dans celle des autres, la part du diable.
Tous ceux qui font métier de s'adresser au public et qui réclament largement son audience vous prouveront sans peine, chiffres en main, qu'il est invariablement attiré par ce que l'on appelle la vulgarité, probablement parce que vulgariser signifie mettre à la portée de tous.
Que l'étalage conscient, organisé et rémunérateur des vices et des faiblesses humaines ait pour résultat d'y habituer les foules au lieu de les en dégoûter, comme la guerre les habitue à tuer au lieu de les retenir, c'est hors de doute.
Pour éviter les accidents, les automobilistes s'arrêtent : aux feux rouges. Cela fait partie d'un code qu'ils ont accepté librement. Qu'une voiture brûle ce feu rouge... et d'autres suivent. Le spectacle est courant. C'est pourquoi l'on y met des agents.
Aux feux rouges de la morale, il faut être aussi très fort pour s'arrêter, seul, quand les autres vous dépassent.
C' est pourquoi il faudra finir par y mettre des agents. S'ils n'arrêtent pas les incorrigibles, du moins arrêteront-ils peut-être les naïfs et les faibles avant que ceux-ci deviennent pédérastes, miss quelque chose ou pornographes.
Ce qui, quoi qu'on en pense en les voyant croître et multiplier, n'est, tout de même pas suffisant pour réussir à Paris.
Mardi, octobre 29, 2013
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