Aimé-la-France

On peut être un peu las de l'épopée Coupe du Monde, mais s'il y avait un peu plus de Jacquet dans d'autres disciplines...
Maintenant vont venir les coups fourrés et les chausse-trapes. Le Kosovo ne va pas être en quinze jours une oasis de paix. Mais la reddition paraît irréversible. Qui aura gagné la guerre? On exagérerait à peine en disant les Russes. Ils ont su refuser des arrières à Milosevic et retrouver une stature de puissance mondiale. Les autres? Le chef serbe s'est fourvoyé dans ses calculs. Son peuple le paie très cher. L'Europe, elle, a pris plus vigoureuse conscience d'elle-même et aussi de la nécessité d'une force commune qui l'affranchisse de toute sujétion. Ce sera probablementle fruit de cet affreux conflit. L'armée serbe, réputée invincible, aurait perdu 10000 hommes. Milosevic a encore sa police, mais ses perspectives ne sont pas roses, quels que soient les chemins qu'empruntera l'Histoire. Deux éminents spécialistes des Balkans et de la géopolitique, Jacques Rupnik et Alexandre Adler, en ont parlé sur LCI. Selon eux, la stratégie de l'Otan n'était pas la mieux adaptée à la situation, mais elle reflète l'écart moderne entre «les formidables capacités techniques et la faible capacité à mourir» . La reddition de Milosevic marque l'échec du nationalisme comme stade suprême du communisme, qui taraude aussi des Russes. Les réactions du peuple serbe à cette tragédie sont imprévisibles : selon Jacques Rupnik, l'opposition peut se remettre en selle, ou la société se décomposer, ou la guerre civile se déchaîner. Adler, plus optimiste, compte sur un effet d'intégration progressif de toute la région dans les institutions européennes. Le pire serait derrière nous. Ce sera comme«une reconstitution de la peau saine sur un grand brûlé» . Tout est fragile encore, et indécis. Pendant que l'on se battait à l'Est, on jouait, à Paris, au football et au tennis. Normal. La vie continue, et il s'agit toujours de réduire physiquement l'adversaire. Il vaut mieux le réduire comme ça, avec des balles et des ballons. Les Français n'ont pas brillé. Consolons-nous pour le foot : il est bon que les Russes aient de temps en temps une satisfaction d'amour-propre. Au tennis, la jeune Amélie Mauresmo a trahi l'espoir. Comme il n'y a pas d'âge pour être vieux, la «vieille» Steffi Graf, 30 ans, était donnée en péril contre Hingis, 18 ans. Elle a été souveraine. Du côté des hommes, la finale entre Agassi et Medvedev fut étourdissante. Dure descente aux enfers du gentleman ukrainien. Il était à un doigt de la victoire (23 aces!) quand il commença à être remonté par le diablotin américain acharné. Ah, ces amerloques! La télévision resta impuissante, comme toujours, à montrer toutes les finesses du jeu, si subtiles chez les grands joueurs, mais on en voit davantage de son fauteuil que de la plupart des sièges de Roland-Garros? Et on n'a pas besoin de parapluie. Pas vu le «Tapis rouge» de Michel Drucker déroulé devant Aimé Jacquet, l'homme le plus populaire de France? Mais ce personnage «bien de chez nous», qui exalte son village, ses racines ouvrières, le travail, l'effort, la valeur de l'esprit d'équipe, une certaine vertu aussi, était déjà, la veille, le héros de «Bouillon de culture», entouré d'écrivains fanas de football, dont Jean Lacouture. Et Pivot jubilait, lyrique.«Vous rejoignez Jeanne d'Arc, Pasteur, Victor Hugo?», dit-il, extasié. L'idole ne broncha pas. Le style Jacquet va contre le courant libertaire, et il a toujours des ennemis. Un grand journal écrivait vendredi qu'il n'est qu'«un entraîneur qui s'est retrouvé au bon endroit au bon moment» et daubait sur le livre qu'il publie. On est un peu las de l'épopée Coupe du Monde, de ses pourquoi, de ses comment et de l'usage que les publicitaires font de ses stars? Mais s'il y avait un peu plus de Jacquet dans d'autres disciplines, on ne s'en porterait pas plus mal. En voilà un qui ne votera pas dimanche pour Cohn-Bendit! La dioxine : un cauchemar. Dans le poulet, les œufs, le poisson, les nouilles? Bientôt on ne pourra plus manger que du caviar. F. G.

Jeudi, juin 10, 1999
Le Nouvel Observateur