7.999.998 enfants plus 2 (que je connais bien) ont eu pour une fois le droit de jouer au Salon

Sur l'organisation du premier salon de l'enfance au Grand Palais et sur les changements des conceptions sur les priorités pour l'enfant « ce salon n'aura pas été inutile si, en sortant, les mamans retiennent qu'une jolie robe rose est moisn urgente pour b
Il paraît qu'il y a huit millions d'enfants de moins de quatorze ans en France.
Je ne sais rien au sujet de 7.999.998 d'entre eux, mais je suis prête à admettre que ce sont des prodiges de beauté et d'intelligence, à m'attendrir sur leurs menottes et sur leurs quenottes, à répéter leurs bons mots comme s'ils étaient nouveaux, à m'extasier sur leurs photographies quand leurs parents me les montrent, à affirmer enfin qu'ils sont la joie du foyer.
Je ne me permettrai quelques réticences qu'à propos des deux derniers. Deux sur huit millions, bagatelles...
Si ces bagatelles viennent de renverser une bouteille d'encre noire indélébile sur le tapis bleu du salon et de couper le fil du téléphone avec le couteau à pain pour voir par où passe la voix, c'est sans aucun doute parce qu'ils ont une lourde hérédité dont je suis responsable. N'en parlons plus.
Les autres, je l'ai déjà dit, sont la joie du foyer.
Heureusement, puisque 864.000 bébés français sont nés en 1948 et 6.966 pendant le seul mois de septembre 1949.
Le monde entier manifestant les mêmes excellentes dispositions pour la repopulation accélérée, le premier Salon de l'enfance, auquel participent 77 sections sociales françaises et étrangères, vient de s'ouvrir au Grand Palais.
Tout y est conçu de façon qu'en rentrant chez eux, après un tour dans ce paradis champs-élyséen, les enfants les mieux intentionnés rient au nez du premier père inconscient qui leur refusera un bonbon, qui leur offrira un modeste cerceau pour Noël et qui rentrera le 24 décembre avec un sapin de quarante centimètres.
L'arbre planté au centre du Grand Palais mesure modestement trente mètres, caramels et dragées se distribuent comme zéros de conduite à l'école et quatre cents stands où l'on vend de tout, depuis le biberon perfectionné jusqu'à la chambre à coucher complète en passant par la couche-surprise, donnent aux parents les plus aisés le sentiment que seuls le père et la mère Noël peuvent désormais s'offrir le luxe d'avoir une progéniture.
Les autres le savent depuis longtemps.
Entre les tentures et sous les tubes fluorescents qui éclairèrent, il y a quelques semaines, les jouets de papa-maman — je veux dire les automobiles — les enfants défilent, fascinés par les Lilliputiens (Tu vois ? Ils n'ont pas voulu manger leur soupe !) et ravagés de désir pour les nouvelles bicyclettes qu'ils peuvent essayer sur un vélodrome miniature.
Vous pouvez toujours leur dire qu'elles ne sont pas à vendre. Les mieux élevés feront peut-être semblant de vous croire.
Mais ce Salon n'aura pas été inutile si, en sortant, les mamans retiennent qu'une jolie robe rose est moins urgente pour bébé que certains vaccins, que 44.924 nouveau-nés, c'est-à-dire 5%, sont morts en 1948 faute d'hygiène ou de soins préventifs et qu'en trois heures elles peuvent apprendre là, pour le bonheur et la santé morale et physique de leurs enfants, plus qu'en vingt siècles de mauvaise littérature autour de l'amour maternel.

Mardi, octobre 29, 2013
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